Des experts plaident pour une vision moins “biaisée” des usagers de drogues
Source: AFP
14.12.08
Des experts ont plaidé lors d’une conférence organisée de jeudi à samedi à Paris sous l’égide de l’Union européenne (UE) pour une vision moins “biaisée” des usagers de drogues, souvent présentés comme marginaux, en insistant sur l’importance des consommateurs bien insérés.
“L’accent a systématiquement été mis sur les populations captives (usagers en traitement ou interpellés) qui sont les seules visibles mais cela a contribué à une vision très biaisée des consommateurs de substances sources de plaisir, systématiquement présentés comme des marginaux dépendants et précaires”, a déploré Tom Decorte (photo), professeur de criminologie à l’université belge de Gand. “Le statut illégal de ces substances et la désapprobation morale qu’il engendre impliquent que la plupart des consommateurs se cachent pour éviter des sanctions mais aussi des réactions négatives de leur entourage professionnel et familial”, a-t-il ajouté, lors de la conférence “Drogues et Cultures” organisée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).
M. Decorte a fustigé également la “vision étriquée” de certains intervenants qui associent systématiquement drogues et exclusion, comme certains juges liant usage de drogue et criminalité ou des soignants pour lesquels drogue signifie risque mortel. Pourtant, insiste le criminologue qui a étudié des usagers de cocaïne “cachés”, “il existe une part importance de consommateurs très intégrés – étudiants, cadres supérieurs ou intellectuels par exemple – qui sont motivés par la sensation de plaisir que provoque la substance et contrôlent voire réduisent seuls leur usage montrant que l’addiction n’est ni inexorable ni irréversible”. “Faire de cela un tabou a nui durablement à la connaissance du phénomène des consommations de drogues”, assure-t-il, plaidant pour “davantage d’études sur les populations cachées et moins de jugements d’ordre moral”.
Pour la sociologue Catherine Reynaud-Maurupt, il est nécessaire de se placer “dans la perspective de l’usager” pour éviter que “l’usage contrôlé ne soit occulté par l’accent mis sur les pires scénarios qui est au coeur de la pensée scientifique, sanitaire et politique” et conduit parfois à des politiques “schizophrènes”. Mme Reynaud-Maurupt a étudié des usagers “cachés” pluriquotidiens de cannabis jeunes et bien insérés qui “estiment représenter une sorte de majorité silencieuse et ne pas avoir ni le besoin ni le désir d’être +sauvés+ du cannabis”. “Ils s’insurgent contre l’image de marginalité et de déchéance qui leur colle à la peau”, dit-elle, précisant qu’ils revendiquent “un traitement égalitaire entre cannabis et alcool” et cherchent à promouvoir l’image d’un consommateur citoyen qui n’a pas “d’autre activité illicite que de fumer” de la marijuana.
“Il est difficile, lorsque l’on a une politique publique basée sur le fait que les drogues sont dangereuses pour la santé, de mettre en avant des usages non problématiques et sous contrôle”, a déclaré à l’AFP Jean-Michel Costes, directeur de l’OFDT. “Mais si les pouvoirs publics veulent comprendre et agir sur le phénomène des drogues”, ajoute-t-il, “il est fondamental de prendre aussi en compte la perspective des usagers intégrés, leur culture, leur contexte de consommation et non de se concentrer sur ceux qui sont débordés par le phénomène et font appel au système de soins”.