BULLETIN ENCOD SUR LES POLITIQUES DES DROGUES EN EUROPE
JANVIER 2012
LE CANNABIS MÉDICINAL EN ISRAËL
Israël a mis en place un programme national unique pour le cannabis médicinal concernant 7500 patients autorisés à acheter 30 grammes de cannabis de type médicinal ( MGC Medical Grade Cannabis) par mois à 8 fournisseurs conventionnés. L’évolution du programme depuis le “-Quoi? De la marijuana pour des malades? Vous êtes fous!” à la position actuelle du “Regarde comme la vie des patients est en train de se transformer” a été et continue d’être un combat d’activiste sur le fil du rasoir qui se transforme désormais en un grand programme national. Sur ce chemin nous avons dû éduquer les acteurs impliqués, formuler un “modus operandi” en constante évolution et protéger ce programme fragile d’attaques constantes de malveillants. L’histoire moderne du Cannabis Médicinal en Israël commence il y a 16 ans, mais ses racines sont implantées dans des cultures et pharmacopées locales et internationales anciennes.
En 1995 j’ai participé (avec Shlomi Sandak), en tant que représentant civil au “Comité d’examen du statut légal du cannabis”. Le comité fut nommé par le Directeur du Comité des Drogues du Parlement, Raphaël Eitan, réputé pour sa dureté et sa rigidité. À mon avis, le résultat était prédéterminé et le comité ne fut rien de plus qu’une manoeuvre pour calmer la pression croissante que nous avions générée au travers de manifestations et de présence dans les médias.
Le comité fit deux recommandations:
1) Ne pas changer le statut légal du cannabis et continuer la criminalisation des consommateurs de cannabis.
2) Permettre et réguler l’accès au Cannabis Médicinal pour des patients gravement atteints.
La seconde recommandation a été très importante et extrêmement positive. Elle a permis l’apparition sur le marché d’une pilule approuvée par la FDA (Marinol ou Dronabinol) dont l’étude très large aux États-Unis a montré que le THC est bénéfique pour deux indications majeures: – la réduction des nausées et des vomissements dus à la chimiothérapie d’une part et l’augmentation de l’appétit d’autre part. Par la suite il s’est avéré nécessaire de fournir aux patients un accès aux fleurs de cannabis et non aux pilules qu’ils n’appréciaient pas à cause de leur coût, de l’effet retardé et de leur niveau de psycho-activité.
Le 1er novembre 1999 le Ministère de la Santé a mis en place un comité dont la tâche serait ” d’établir des normes pour la consommation médicinale de cannabis”. Initialement le ministère avait autorisé les malades à cultiver 5-6 plantes mais on a vu rapidement que beaucoup de malades étaient trop atteints pour cultiver et s’occuper des plantes.
Le temps s’écoulait lentement au Ministère de la Santé (MDS). Les patients qui souhaitaient mettre en application ce projet devaient présenter une recommandation de spécialiste le concernant et beaucoup de médecins ont refusé de faire ces recommandations. Plus les patients se rapprochaient du ministère plus nombreux étaient les refus et le programme fut presque arrêté. La décision finale d’approbation des demandes était entre les mains d’un seul homme, le vice-directeur du MDS.
L’infame Convention des Drogues de 1961 stipule que pour la consommation de drogues illicites comme le cannabis pour des raisons médicales, le pays signataire doit mettre en place une agence spéciale ayant le monopole de la régulation de tous les aspects de la consommation médicinale d’une drogue illégale, soit la production, la distribution, l’importation et exportation etc… C’est seulement en 2003 que le gouvernement hollandais qui a mis en place légalement “l’Agence” et la sélection de cultivateurs l’a rendue possible.
Ce n’est pas avant 2007 que le MDS a accordé (pour un cultivateur en bonne santé et sans antécédents judiciaires) une licence pour cultiver 50 plantes à condition d’approvisionner des patients en Cannabis Médicinal sans être payé. Le cultivateur a commencé la culture du CM sur la propriété de ses parents en Galilée et sa mère, professeur de biologie, était la gardienne du jardin. Au début il distribuait le cannabis dans son appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble de Tel Aviv. Le MDS a ensuite dispensé des licences à 17 autres cultivateurs. Certains n’ont jamais pu fonctionner à cause de l’investissement demandé, et aujourd’hui seulement 8 cultivateurs sérieux continuent.
La libre distribution a été possible sur un temps assez court mais le modèle de “distribution gratuite” n’a pas pu continuer compte tenu que la production de Cannabis Médicinal biologique et standardisé coûte très cher. Des dons pour maintenir ces cultures ont été nécessaires.
Après 18 mois de “Cannabis gratuit pour les patients” le MDS a autorisé les cultivateurs a recevoir 100 dollars pour environ 40 grammes par mois. Cette quantité a ensuite été réduite à 30 grammes à cause de l’inquiétude de voir ce cannabis médicinal dériver vers le marché noir. Petit à petit le nombre de patients a augmenté, les expériences personnelles et les rapports dans les médias ont diffusé le message sur les multiples bénéfices du CM. En 2009 le MDS nous a autorisé à ouvrir un centre de distribution. Un groupe de volontaires a commencé a distribuer le cannabis dans une salle de 16 mètres carrés.
Alors que le cannabis et la formation étaient gratuits, les clients achetaient du papier, des machines à rouler et des vaporisateurs. Dans leur majorité, consommer du cannabis fut une expérience complètement nouvelle. Nous leur avons appris à rouler des joints, inhaler et exhaler, comment ne pas se brûler la gorge et quels sont les effets collatéraux. Nous leur avons fait connaître différentes variétés pour qu’ils trouvent celles qui correspondent le mieux à leurs symptômes. On distribuait aussi des biscuits et de l’huile pour usage sublingual pour ceux qui ne peuvent pas fumer. Beaucoup de patients ont été très reconnaissants pour le changement occasionné dans leur vie par le cannabis.
L’État pour sa part essaie d’avancer sur la régulation du programme depuis son expansion très rapide. L’autorité de contrôle des drogues a reçu un mandat du MDS pour lancer un appel d’offre et mettre en place des directives pour la sélection de cultivateurs, de qualité et de prix. Ce mouvement a été bloqué par les cultivateurs qui ont lancé une procédure argumentant qu’en accord avec les Conventions de l’ONU, la seule institution qui a autorité pour réguler la consommation médicinale de drogues interdites c’est une “agence spéciale” qui n’avait pas encore été mise en place par le gouvernement à ce moment.
Il y a quelques mois, le gouvernement israélien a pris une décision historique pour former et financer officiellement cette “agence super-ministérielle spéciale” constituée de représentants du MDS, de la police, du Ministère de l’Agriculture, de l’Autorité de Contrôle des Drogues et du Ministère de l’Intérieur. Cette agence du gouvernement a le monopole pour réguler tous les aspects du programme du Cannabis Médicinal y compris de publier des appels d’offres concernant les cultivateurs, la distribution, l’importation et l’exportation. On suppose que cela commencera dans le courant de l’année 2012.
Par Boaz Wachtel