13 septembre 2015
Par AFP
A Irun, ville frontalière du Pays basque espagnol, des vapeurs de marijuana s’échappent des allées de la foire Expogrow: vendeurs de graines de chanvre, d’équipements pour cultiver sous serre, d’engrais et d’accessoires dédiés aux fumeurs de cannabis, attirent la curiosité de 20.000 visiteurs, surtout Français.
«Ce n’est pas un hasard si ce salon est organisé à la frontière. Je voulais faire parler de la réalité de la France, mais en Espagne», où la consommation et la culture sont autorisées dans un cadre privé, indique à l’AFP Thomas Duchêne, directeur français d’Expogrow, fondé il y a quatre ans.
Cette foire professionnelle, ouverte au public, durant laquelle se tient un Forum social international avec des experts, se défend de faire «l’apologie du cannabis». Ses organisateurs souhaitent «mettre sur la table la réalité du nombre de fumeurs en France», en abordant les thèmes de la prévention des risques, des différentes politiques publiques dans le monde ou de l’usage médicinal de la plante dont les différents principes actifs ne sont pas uniquement psychotropes.
Si la détention et la consommation de cannabis sont pénalement réprimées dans l’Hexagone, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) a établi à 17 millions le nombre de Français âgés de 11 à 75 ans qui l’ont déjà expérimenté. Et à cinq millions ceux qui en ont consommé en 2014, un tiers d’entre eux se déclarant consommateurs réguliers.
Malgré cette réalité, qui place le pays parmi les champions de la consommation en Europe, cette foire ne pourrait exister en France. En cause, selon Thomas Duchêne, «des tabous», des entraves à l’information sur le cannabis et l’interdiction de la vente de graines de marijuana pour laquelle «il existe pourtant une sorte de vide juridique». D’après plusieurs vendeurs de graines présents, des magasins commenceraient toutefois à apparaître sous couvert de vente à des «collectionneurs», ce qui ne tomberait pas sous le coup de la loi.
Mais les 50 à 100.000 auto-producteurs estimés sur le territoire national, qui achètent leurs lampes et engrais en toute légalité dans les quelque 300 «growshops», savent qu’internet et une adresse postale suffisent pour recevoir des graines de sociétés basées dans les trois plus gros pays producteurs: États-Unis, Pays-Bas et Espagne.
Alain, consommateur français venu de Roanne (Loire), déclare à l’AFP, sans ambages: «C’est tout simplement une politique hypocrite. Ils ont fait un rapport il y a peu, où ils se sont aperçus que s’ils légalisaient ça leur rapporterait au minimum quatre milliards d’euros par an, c’est pas mal quand même, et ils ont déjà calculé le prix de vente: 8,40 euros! Donc dans mon pays, dans deux ans c’est légal j’en suis sûr, je le parie»!
– Activistes contre prohibitionnisme –
Parmi les activistes pro-cannabis, l’association Chanvre et libertés entend «être une voix qui réunit les savoirs des experts et profanes» pour travailler «à la réforme des politiques prohibitionnistes», notamment en soutenant l’idée, déjà concrétisée en Espagne, de «Cannabis social clubs», des groupes associatifs de 20 personnes maximum qui se déclareraient en préfecture et cultiveraient pour leur consommation personnelle.
Mais leur message entend également «réduire les dommages liés à l’usage du chanvre», notamment en incitant à l’abandon de l’inhalation du cannabis dans des cigarettes roulées ou dans des pipes, ce qui renforce l’addiction au tabac. Ils militent pour l’usage de vaporisateurs dans lesquels un système de chauffage génère une vapeur riche en cannabinoïdes et en partie débarrassée des produits toxiques nés de la combustion des plantes.
«Demain, si on a quatre millions de fumeurs qui consomment mieux ça fera autant de cancer, d’infarctus ou d’AVC en moins» et «moins d’addiction», clame le Dr Olivier Bertrand, médecin généraliste spécialisé en addictologie, responsable de la commission santé et prévention de Chanvre et libertés.
Vendus par huit exposants, ces vaporisateurs suscitent l’engouement du public et sont, selon Thomas Duchêne, «la révolution de ces quatre dernières années dans le monde du cannabis».
«Chaque pays évolue à son rythme, celui de la France est plus lent que celui de ses voisins», juge Thomas Duchêne soulignant «qu’il y a des consommateurs dans toutes les classes et catégories sociales»