Source: Libération
16 avril 2011
Propos recueillis par Cyril Durand
Alors, c’est pour quand la légalisation ?
On essaie d’ouvrir le débat. Une commission parlementaire se réunit actuellement, Daniel Vaillant (PS) va sortir un rapport parlementaire à la mi-mai. Il existe aussi un débat international avec plusieurs économistes de haut rang et d’anciens présidents comme Vincente Fox ou Fernando Henrique Cardoso. Les économistes expliquent que l’argent sale est en train d’irriguer l’économie réelle au niveau international. Cela crée un vrai problème. Je ne dis pas que la légalisation sera pour demain. Je l’espère pour après-demain.
Parlez-vous de dépénalisation ou de légalisation ?
Je parle de dépénalisation et de légalisation. Des politiques de dépénalisation ont réussi, notamment au Portugal, cité en exemple par l’ONU. Je pense que si l’on ne fait que dépénaliser, le lien avec le narcotrafic demeure. Je suis pour légaliser : c’est le seul moyen de casser les trafics en France et de couper avec le crime international. On pourrait ainsi contrôler la production et la qualité du produit ainsi que le circuit de consommation. La distribution pourra se faire en pharmacie ou dans des lieux comme les « coffee shops ».
Vous parlez de cannabis. Quid des autres drogues, dites plus « dures » ?
Je pense qu’il faut que l’on change notre vision des choses sur la cocaïne et l’héroïne. La consommation festive et occasionnelle ne pose pas de réel problème de santé publique. Le vrai souci, c’est le cocaïnomane ou l’héroïnomane régulier. La dépénalisation permettrait de ne plus les considérer comme des délinquants, mais comme des gens malades qu’il faut aider. En Europe, il y a 60 villes qui concentrent 80 salles de shoot, qui donnent des résultats positifs. En France, le débat sur cette question s’est ouvert pour vite se refermer. Il faut pourtant aller dans ce sens-là.
Pourquoi pensez-vous qu’en France, le débat sur la dépénalisation des drogues est impossible à ouvrir ?
C’est un tabou. Il y a une grande hypocrisie dans la société française. Nous sommes pourtant les premiers consommateurs mondiaux de psychotropes. La classe politique ne veut pas aborder certaines questions de société qui font peur. On n’aborde pas le problème franchement.
Prônez-vous la légalisation seulement pour endiguer le trafic ou est-ce un combat idéologique ?
Je considère que l’on doit être adulte face à ce que l’on consomme. Je suis pour la libéralisation. De la même manière que nous avons appris à boire, il faut apprendre à consommer les drogues existantes.
Mais la question ne peut pas se limiter à la France, il faudrait harmoniser la dépénalisation au niveau européen…
C’est planétaire ! On commence à ouvrir le débat. Il y a eu une déclaration, passée inaperçue en France, de plusieurs chefs d’états, demandant un débat auprès de l’ONU sur cette question. Le débat s’engage et il faut aller au bout. Mais c’est évident que ce n’est pas une question franco-française. C’est à la fois une question européenne et mondiale.
L’alcool est légal et cela n’empêche pourtant pas les abus…
Cela ne règlera pas tout, évidemment. Mais nous avons un problème de consommation, surtout en ce qui concerne le cannabis, qui est une consommation de masse. Il y a 4.000.000 de consommateurs plus ou moins réguliers, 1.200.000 qui fument au moins une fois par semaine, et environ 600.000 qui fument tous les jours. On a appris à boire, on doit apprendre à fumer.
Avez-vous reçu des soutiens de la part d’hommes politiques ou de personnalités ?
Oui, mais en « off ». Je suis d’ailleurs surpris. Je ne pensais pas que cela ferait un tel remue-ménage, cela prouve que c’est une vraie question.
Mais officiellement, personne n’a pris position avec vous ?
Daniel Vaillant sort bientôt son rapport. J’ai reçu des soutiens amicaux mais personne ne s’est prononcé publiquement. Pour l’instant. Le rapport de Vaillant à la mi-mai devrait relancer le débat. Nous verrons à ce moment-là.
Et vous, vous fumez de l’herbe ?
J’ai fumé quand j’étais jeune, mais maintenant je ne fume plus. Et je bois très peu.