Source: Libération
De: Mourad Guichard
27.12,2007
Près d’Orléans, des militants libertaires cultivent biologiquement du
cannabis, puis le distribuent gracieusement.
Dans le Loiret, là où passent les fumeurs, l’herbe repousse. Pour un petit
groupe de militants anarchistes, c’est même devenu un rituel. On plante,
on fait pousser en respectant les principes de la culture biologique. Et,
surtout, on se fait un devoir de distribuer cette «beuh» sans la moindre
contrepartie financière. Question de principe. «Nous avons fait le choix
de la qualité et de la gratuité», explique Nestor (1), l’idéologue du
groupe.
Récolte. Ce salarié, la trentaine rebelle, béret noir frappé d’une étoile
sur la tête, réplique parfaite de celui porté par Che Guevara, vit cette
expérience vieille de deux récoltes comme une démarche politique. «J’ai
moi-même arrêté de fumer pendant quatre ans par ras-le-bol d’alimenter les réseaux mafieux. Avant de trouver cette alternative viable, humaine et sociale.» Deux fois par an, Nestor quitte Orléans pour Montargis.
Là-bas, il y retrouve Pedro (1), un autre militant qui, lui, possède un terrain. «Nous plantons courant février et récoltons vers octobre», expliquent-ils. «L’entretien des plants nous demande une heure de travail par semaine, tout au plus. Pourquoi se faire du blé sur un investissement aussi léger?»
Dès la récolte terminée – de quoi répondre aux besoins de fumette du
groupe pour une année entière -, les militants reprennent leurs habitudes.
En tendant l’oreille. «Nous ne faisons pas de prosélytisme, insiste
Nestor. Quand quelqu’un aborde le sujet, je l’informe de notre initiative,
et, s’il est d’accord sur le principe, je lui livre un sac.» Les quantités
ainsi cédées sont impressionnantes. L’herbe est claire et parfumée. Ses
effets, s’ils ne sont apparemment pas comparables à ceux de la jamaïcaine, sont jugés «très satisfaisants» par les bénéficiaires. S’ils vendaient leur herbe, chaque livraison leur rapporterait environ 200 euros, mais les militants ne regrettent rien.
«L’illégalité du cannabis en augmente artificiellement la valeur», pensent-ils. «Nous comparons notre gestion de
ce produit à celle des fruits et légumes que les agriculteurs biologiques
diffusent au travers des Amap, les associations pour le maintien d’une
agriculture paysanne.»
Leur clientèle de prédilection demeure l’entourage direct. Mais aussi les
fumeurs limités par un pouvoir d’achat trop faible. Une logique du
«produire plus pour fumer plus». «Tout en prenant en compte les dangers relatifs du cannabis, je préfère qu’un mec à la rue ou en détresse sociale fume plutôt qu’il se jette dans un alcoolisme abrutissant», se justifie
Nestor.
«Avec notre système et la distribution systématique des graines,
nous invitons les gens à reproduire notre schéma et à devenir maîtres de la chaîne de production.»
Au Collectif d’information et de recherche cannabique (Circ), association
qui milite pour la légalisation du cannabis, on observe ce mouvement avec amusement. «Nous connaissons des fumeurs qui produisent chez eux pour leur
propre consommation, mais des Zorro comme ceux du Loiret, jamais vu, lance
Nathaniel, président du Circ Paris. Nous encourageons les fumeurs à
s’organiser ainsi pour s’assurer d’avoir un produit de qualité au moindre
coût et d’échapper au marché clandestin.»
Pour assurer cette autosuffisance, le Circ préconise la création de
«Cannabis social clubs». Des sortes de Rotary pour fumeurs assumés, censés diluer les responsabilités de chacun. Selon le Circ, en effet, c’est le producteur qui risque gros au regard de la loi. L’idée est donc qu’en
dispersant la production on partage les risques.
La cession de cannabis, qu’elle soit gratuite ou marchande, est en outre
soumise aux mêmes règles juridiques. «En théorie, un producteur peut
écoper de la prison à vie, poursuit Nathaniel. Dans les faits, quand on se
fait choper avec une petite quantité et sans antécédents judiciaires, on
risque six mois de prison avec sursis.»
Légalisation. Un risque que mesurent clairement les fumeurs du Loiret. «En qualité de militant politique et syndical, je sais qu’ils pourront me
descendre par le biais des stupéfiants. Mais j’en prends le risque», clame
Nestor. «En matière de stupéfiants, la législation pénale a un côté
hypocrite, concède Eric Grassin, avocat au barreau d’Orléans, les peines
maximales ne sont que rarement infligées. Pour ce qui est de la cession
gratuite, toutefois, les producteurs et les consommateurs ne doivent pas
se faire d’illusions. L’état actuel de la jurisprudence ne laisse guère
d’espoir. Devant une cour, je plaiderais volontiers cet aspect du dossier
comme circonstance atténuante, mais le délit resterait le même au regard des textes en vigueur.»
L’improbable légalisation du cannabis, les fumeurs militants du Loiret
n’en ont cure : «Nous ne sommes pas favorables à ce que l’Etat mette son nez là-dedans et édicte sa loi. Nous continuerons de toute façon pour que les consommateurs n’aillent ni financer un état hypocrite ni des réseaux
mafieux», conclut Nestor.
(1) Les prénoms ont été modifiés.