Source: L’Express
26/11/2010
Par Laurent Chabrun
A Marseille, une fusillade a fait une victime de 16 ans et un blessé
grave de 11 ans.
Pour en finir avec l’économie souterraine dans les cités et les
quartiers sensibles et, du coup, limiter les règlements de comptes
sanglants, certains observateurs préconisent la libéralisation “sous
contrôle” de la vente de cannabis.
Comment briser le trafic de stups dans les cités? Comment venir à bout
de l’économie souterraine qui, la crise aidant, est devenue dans
certains quartiers sensibles la ressource majeure d’une partie des
habitants et en particuliers des plus jeunes? La question se pose avec
d’autant plus d’acuité que la concurrence qui règne désormais sur ce
marché de la “dope” conduit les gangs à des guerres de territoire qui
ont, pour cette seule année, provoqué plusieurs dizaines de victimes au
cours de règlements de comptes (19 pour la seule ville de Marseille).
Directement confrontés à ces difficultés, certains élus locaux, comme le
maire de Sevran, (Seine-Saint-Denis) militent désormais pour mettre fin
à la prohibition de la drogue en France et en particulier du cannabis.
La position radicale de Stéphane Gatignon (Europe Ecologie-Les Verts)
répond, il est vrai, à une situation particulièrement dégradée. La ville
est depuis les années 1970 considérée comme l’un des points
d’approvisionnement en cannabis pour le Nord du département. La faute au
réseau de communication particulièrement dense qui favorise les
livraisons, parfois par tonnes, et l’arrivée des acheteurs. Ces derniers
peuvent ainsi se fournir dans trois des cités de la commune et, en
particulier, celle des Beaudottes , bien connue des amateurs de “shit”
mais aussi de semi-grossistes venus de province.
Cette tradition locale de “deal”, partagée avec d’autres communes du 93,
s’est depuis une dizaine d’années muée en industrie. Laboratoires de
préparation de la drogue dans les appartements, guetteurs armés de
kalachnikovs pour protéger les lieux de vente… “On est passé à une
véritable organisation mafieuse”, commente un élu local. Du coup, quand,
auparavant, les différents entre gangs se réglaient à coup de poing puis
de couteau, c’est désormais au fusil d’assaut qu’on arbitre les litiges.
On compte déjà six victimes. Et les dégâts collatéraux ne manquent pas:
“L’été dernier, deux jeunes femmes et trois enfants sont décédés à la
suite d’un incendie lié à un règlement de compte”, déplore Stéphane
Gatignon.
Pour mettre fin au règne de la mafia des stups qui contrôle les cités,
la police privilégie désormais les opérations “coup de poing”. Une
descente anti-drogue avait ainsi été organisée en juillet dernier. Le
déploiement de plusieurs centaines de policiers et douaniers avait
permis la saisie d’un kilo de cannabis de trois armes de poing et de
quelques chargeurs de Kalachnikov. Un maigre butin. D’autant que le
commerce avait immédiatement repris après le départ des forces de
l’ordre. “C’est du 24 heures sur 24 et du 7 jours sur 7”, commente un
habitant désolé.
“Si la guerre policière est perdue il faut donc taper à la caisse en
légalisant une partie des substances vendues dans les cités,
essentiellement, le cannabis”, affirment donc certains observateurs
locaux dont le maire de la ville. Cette position, polémique, avait déjà
été adoptée par Daniel Vaillant, élu socialiste de Paris et ancien
ministre de l’Intérieur. Ce dernier confiait, il y a un an, qu’il
fallait “tenter le pari de la réglementation du cannabis pour faire
baisser sa consommation”. “On peut imaginer un contrôle des
approvisionnements extérieurs et une production en France. Tout se
ferait dans la transparence et la règle comme pour le tabac et l’alcool.
Pas de produits frelatés, pas d’économie souterraines et une vente en
des endroits précis et contrôlés interdits aux mineurs de moins de 16
ans”, plaidait-il.
Les propositions de l’ancien ministre n’avaient pas, alors, soulevé un
enthousiasme débordant. Eric Ciotti, secrétaire national à la sécurité
de l’UMP, s’était élevé contre “des propos inacceptables”. “Légaliser
l’usage irait à l’encontre de la lutte volontaire et déterminée mise en
oeuvre par le gouvernement”, avait-il clamé. De quoi démontrer, déjà,
que le débat sur la légalisation est autant politique que policier.