Source: Cannabis Sans Frontières
Par Jean Pierre Galland
16 mars 2010
« Les vrais responsables de l’extension de la toxicomanie juvénile, il faut les chercher parmi les maîtres à penser qui, depuis trois ans et plus, s’emploient à affaiblir le ressort moral de la jeunesse, à la désorienter par des utopies aberrantes et à déconsidérer à ses yeux le prix de la volonté et de l’effort ».
Raymond Marcellin – Ministre de l’Intérieur, Le Monde, décembre 1970
Acte de naissance
La première loi sur les substances vénéneuses date du 19 juillet 1845. En 1916 apparaît la notion d’usage, mais la loi ne mentionne que l’usage en société et la peine encourue (trois mois de prison) est la même que pour trafic.
En 1953, « l’obligation de soins » pour les toxicomanes est inscrite dans la loi, mais la France bien connue pour raffiner dans ses laboratoires de la Côte d’Azur la meilleure héroïne du monde, c’est au trafic international que le législateur accorde sa priorité, demandant au ministère public de faire preuve « d’une répression impitoyable » envers les trafiquants regroupés au sein de la célèbre French Connnection. [1]
Péril jeune
Le 31 décembre 1970 est votée à l’unanimité parlementaire la loi « relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et la répression du trafic et de l’usage illicite de substances vénéneuses ».
C’était l’époque où Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur, interdisait une douzaine de groupuscules gauchistes, une époque où la jeunesse faisait peur aux bien-pensants, l’époque explosive des cocktails Molotov et des premiers festivals de rock ,Woodstock et l’île de Wigtht, mais aussi le festival de Biot organisé par Jean-François Bizot, futur rédacteur en chef d’Actuel, le magazine des jeunes en rupture avec la société et la famille. [2]
« L’herbe a poussé entre les pavés disjoints de la révolution » titrait en 1969 un éditorial du Figaro, année où les forces de l’ordre ont interpellé 1 200 « drogués » dont 813 amateurs de cannabis.
Comme le remarque judicieusement le professeur Henrion, en 1970, dans l’esprit du législateur, la loi se devait d’être « une pièce maîtresse dans l’effort d’endiguement qu’appelait une vague de contestation portée par ce que certains ont appelé “la dissolution des moeurs” ».
La loi de 1970 innove en incriminant l’usage individuel en privé, en refusant de distinguer entre les différentes drogues comme entre les différents types d’usage. Tandis que le ministère de l’intérieur est favorable à la répression de l’usager généralement renvoyé devant le tribunal pour détention, le ministère de la santé, lui, plaide pour que le « drogué » soit considéré comme un malade. Les partisans de la répression l’emporteront donnant au seul magistrat la possibilité de décider d’une obligation de soins, mais comme ce n’est pas son rôle de jouer au docteur, un nombre restreint d’usagers seront dirigés vers une structure sanitaire.
Faut-il considérer le consommateur de drogues illicites comme un délinquant et le punir ou comme un malade et le soigner ? Une question qui 40 ans plus tard, est toujours d’actualité.
Concernant le trafic, le législateur comme l’ensemble des formations politiques étaient sur la même longueur d’onde. Afin de dissuader les « marchands de mort », la loi prévoit des peines tellement sévères qu’un député de droite déclara qu’elle est un « ensemble juridique dont bien des dispositions pourraient hors du contexte dans laquelle, elle s’applique, paraître choquante [3] ».
Autre particularité de cette loi, un article qui en 1970 n’a guère soulevé de contestations parmi les députés, l’article L. 630 du code de la Santé publique, aujourd’hui baptisé L 34 21 – 4. Cet article punit « l’incitation et la provocation à l’usage des stupéfiants » ainsi que « la présentation sous un jour favorable » même si celle-ci n’est pas suivie d’effets. C’est sans doute la raison pour laquelle on ne trouve pas en France de magazines uniquement consacrés au cannabis [4] comme dans les autres pays d’Europe [5].
Comme l’écrit le CIRC à propos de cet article qu’il connaît trop bien : « Ainsi, la glorieuse brigade des stup’, fer de lance de la prohibition, fait-elle également office de police de la pensée, surveillant le langage de chacun quant à la question des drogues. Et dans les loisirs que lui laisse la traque aux insaisissables « gros bonnets », elle se livre aussi à l’occasion à la chasse aux badges, autocollants et T-shirts ornés de feuilles de cannabis, de Vache-Qui Rit aux yeux éclatés et autres clowns hilares, ajoutant ainsi comme une touche de comique involontaire et de vraie poésie administrative à l’austère labeur de ces rudes fonctionnaires [6] ».
La rigueur de la loi n’empêche pas pour autant les drogues de se répandre à la ville comme à la campagne. Des réseaux sont démantelés. La France découvre alors qu’on se drogue même à Lons-le-Saunier où se déroule un procès très médiatisé avec 51 personnes inculpées dont 28 sont derrière les barreaux.
En 1976, le ministère de la justice envoie une note aux procureurs leur demandant de réprimer plus durement les dealers…1976, c’est aussi l’année où les amateurs de cannabis se rebellent, et par l’intermédiaire de Libération, lancent le fameux « Appel du 18 joint ».
L’année suivante, quelques allumés créeront les CALUMED [7].
Ses membres participeront à la première conférence sur la légalisation du cannabis à Amsterdam, puis organiseront dans les salons de l’hôtel Lutétia à Paris les « Assises pour la dépénalisation du cannabis »… L’occasion pour France-Soir de publier en première page un article : « A l’heure où s’ouvre un congrès pour la libéralisation de la marijuana, les plus grands noms de la médecine sont formels : non à la vente libre du H. »
Entre 1977 et 1978, le nombre d’interpellations augmentera de 64 % passant de 4755 à 7799.
1977, c’est aussi l’année où, suite à l’inculpation du fils du sénateur maire de Caen impliqué dans une « drogue partie » mortelle, Valery Giscard d’Estaing charge Monique Pelletier de se pencher sur le problème (le fléau) de la drogue [8].
Au fil des faits-divers retentissants et des articles de presse présentant le cannabis comme l’antichambre de l’héroïne, le sujet se politise. Deux organes de presse se distinguent, Libération et l’Humanité. Le premier publie dans son édition dominicale la bourse de la semaine, un récapitulatif des prix du cannabis sur le marché, assortie de quelques conseils pratiques [9]. Le second lance une campagne contre la drogue et distribue des tracts : « La lutte, pas la drogue » à la sortie des lycées de banlieue. Des enseignants répondront en distribuant à leur tour un tract : « La lutte ! Pas la morale ! ». Cette affaire fera grand bruit, le Figaro demandant qu’on vire de nos lycées « les professeurs de H » et Libération de prédire : « Les sorcières des années 80 ce seront les drogués ».
Dans une circulaire du 17 mai 1978 [10], le Ministre de la Justice Alain Peyrefitte met de l’eau dans son vin. Le cannabis n’entraînant pas de dépendance physique, ses consommateurs ne sont pas des toxicomanes, aussi le ministre conseille-t-il au Parquet, en cas de simple usage de cannabis, de se contenter d’une mise en garde.
Lors des années qui précèdent l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, le débat fait rage entre ceux qui contestent la loi de 1970 et les partis politiques. Désormais, la drogue est un argument électoral… En pleine campagne présidentielle, Robert Hue, alors maire de Montigny, se distingue en créant des « Comités de solidarité et vigilance anti drogue » et en organisant des manifestations sous les fenêtres d’une famille soupçonnée de trafic.
Des lois qui font de plus en plus mal
Saviez-vous que c’est en 1984 qu’apparaîtra pour la première fois l’expression « d’injonction thérapeutique » ?
Désormais, l’article 628.1 du Code de la Santé publique permet au procureur de donner le choix à l’usager entre suivre une « injonction thérapeutique » ou passer devant un tribunal. Si l’usager respecte le contrat et suit le traitement sans faillir, il sera absous.
Devant le franc succès remporté par le cannabis, la loi du 17 janvier 1986 crée une nouvelle incrimination contre les usagers revendeurs lesquels ne sont souvent (loi du marché noir oblige), que des usagers partageurs [11].
Une incrimination qui donne à la justice la possibilité de juger en comparution immédiate les dealers interpellés en flagrant délit. Une loi qui autorise aussi le recours à des examens médicaux ou à la saisie des biens d’une personne inculpée avant qu’elle ne soit jugée.
L’article L 627 –2 prévoit « un emprisonnement d’un à cinq ans et une amende de 762 à 76 224 euros ou de l’une ou l’autre de ces deux peines seulement ».
Et la loi du 31 décembre 1987 ?
Elle officialise la « délation » et promet une réduction de peine, voire l’exemption, pour ceux qui dénoncent un trafic avant sa réalisation. Elle crée aussi de nouveaux délits pour mieux lutter contre le blanchiment d’argent sale ou pour punir avec plus de sévérité (de deux à dix ans de prison) ceux qui vendent de la drogue à des mineurs.
Une nouvelle circulaire qui rend caduque les précédentes est publiée le 12 mai 1987. Contrairement à la circulaire Peyrefitte en 1978 et à la circulaire Badinter en1984, lesquelles recommandaient de distinguer entre le cannabis et les autres drogues, cette circulaire d’Albin Chalandon propose de distinguer entre « l’usager occasionnel » et « l’usager d’habitude ». Pour le premier, le Parquet se contentera d’un avertissement. Pour le second, quelle que soit la drogue, on recommande au procureur de prononcer une injonction thérapeutique… Si l’usager refuse, il sera poursuivi au pénal.
Cette circulaire votée sous le gouvernement Chirac dont le conseiller était le professeur Nahas [12] marque un recul d’après Francis Caballero, avocat et auteur du Droit de la drogue. Elle remet en cause la dépénalisation de fait de l’usage du cannabis.
Autre loi, celle du 16 décembre 1992 qui autorise les policiers à proposer de la drogue à des trafiquants qu’ils coinceront au moment de la transaction… Ce qu’on appelle des opérations de livraisons contrôlées.
Le nouveau code pénal
Le 1er mars 1994 entre en vigueur le nouveau Code pénal.
À l’exception des dispositions relatives à l’usage, les dispositions concernant le trafic sont transférées dans le Code pénal et le législateur en profite pour renforcer les peines. Désormais, l’importation et l’exportation de stupéfiants sont punies de 10 ans d’emprisonnement et de 76 622 450 euros d’amende.
Pour combattre le fléau des drogues, le nouveau Code pénal applique au trafic de stupéfiants la même procédure que pour le terrorisme. Ainsi, le fait d’être considéré comme le responsable d’un trafic en bande organisée ou le fait de cultiver du cannabis dans le but d’en céder gratuitement ou contre de l’argent est passible de la réclusion criminelle a perpétuité et de 76 622 450 euros d’amende.
Une circulaire en date du 28 avril 1995 invite les policiers et les gendarmes à dresser un procès-verbal et à aviser l’autorité judiciaire dès qu’ils interpellent un usager. Elle donne aussi quelques conseils sur l’injonction thérapeutique :« il conviendrait, à cet égard, que ne fassent l’objet d’injonctions thérapeutiques que les usagers de stupéfiants tels que l’héroïne ou la cocaïne, ou ceux qui s’adonnant au cannabis en font une consommation massive, répétée ou associée à d’autres produits (médicaments, alcool) ».
Pour enfoncer le clou, une énième loi, celle du 13 mai 1996 créée de nouvelles infractions, par exemple le fait de provoquer un mineur au trafic de stupéfiants est puni de 7 à 10 ans d’emprisonnement. Quant aux associations qui luttent contre la drogue, elles pourront se porter partie civile dans les affaires de trafic.
Puis vint la circulaire Guigou du 17 juin 1999. Comme celle de 1995 sous le gouvernement Balladur, elle rappelle aux magistrats que l’injonction thérapeutique est réservée aux usagers dépendants. Quand il s’agit « de consommateurs occasionnels, notamment de cannabis, le rappel à la loi et l’orientation sanitaire, sous la forme d’un classement sans suite, sont donc privilégiés ».
L’arsenal judiciaire dispose depuis la loi du 23 juin 1999 de la composition pénale, dont l’objectif est « d’apporter une réponse systématique et dissuasive aux actes de petite et moyenne délinquance » auparavant classés sans suite, voire non poursuivis ».
Présentée comme une alternative aux poursuites, il faudra attendre l’arrivée de la droite pour que la composition pénale devienne à la mode. On en dénombrera 28 600 en 2004 contre 3 500 en 2001.
La tolérance zéro pour les drogues et les drogués
Qui se souvient de la loi Perben II votée le 9 mars 2004 ? Son but : adapter la justice aux évolutions de la criminalité.
C’est ainsi que cette loi introduit « la reconnaissance préalable de culpabilité » ou si vous préférez le plaider-coupable qui ne concerne pour l’instant que la grande criminalité. Désormais, les indics seront rétribués. Quant au mandat de recherche, il permet de placer en garde-à-vue une personne soupçonnée de vouloir commettre un délit…Une garde-à-vue qui peut être prolongée de 96 heures en cas de trafic. La loi créé aussi un statut pour ceux qui dénoncent leurs petits camarades. Quand ils sortiront de prison, à moins qu’ils ne soient exemptés, les repentis bénéficieront d’une véritable protection [13].
Et qui se souvient de la circulaire Perben du 8 avril 2005 ?
« Il faut arrêter les « c’est pas grave, c’est pas nocif » et punir systématiquement tout usage de drogue » écrit en préambule Dominique Perben, alors Garde des Sceaux et Ministre de la Justice.
Désormais, « le « rappel à la loi » devant un représentant du procureur (pratique courante) doit être une exception ». Elle sera réservée uniquement aux majeurs non récidivistes et détenteurs de « très faibles quantités de stupéfiants ». Les autres, ceux « qui ont dépassé la simple expérimentation » seront orientés « vers une structure sanitaire ou sociale ».
Attention ! Si vous êtes récidiviste ou si vous refusez de vous soumettre à une obligation de soins, la prison vous guette, idem si vous consommez dans l’enceinte d’un lycée. Quant « aux personnes exerçant une profession à risque » et contrôlées positives au cannabis, les routiers et autres conducteurs d’engin, Dominique Perben conseille aux tribunaux d’engager contre eux des poursuites pénales « à vocation dissuasive ».
À noter aussi que cette circulaire expose tout contrevenant à des tests médicaux réguliers visant à établir « la cessation de toute consommation ».
Autre nouveauté inquiétante, Dominique Perben demande aux procureurs d’appliquer « une politique pénale volontariste » contre « la provocation à l’usage des stupéfiants ». Sont visées « les boutiques de chanvre dans lesquelles sont mises en vente des graines de cannabis », les commerçants proposant des « vêtements et bijoux arborant une feuille de cannabis », et pour finir la diffusion d’ouvrages « vantant les mérites des produits stupéfiants ».
Cette circulaire qui tombe au moment où le gouvernement lance dans les médias une campagne de prévention [14] illustre parfaitement la politique de tolérance-zéro du gouvernement.
La prévention de la délinquance selon Nicolas Sarkozy
Le projet de loi « relatif à la prévention de la délinquance » présenté par Nicolas Sarkozy en mars 2007 prévoit parmi de nombreuses mesures toutes plus coercitives les unes que les autres, une série de « dispositions tendant à prévenir la toxicomanie et certaines pratiques addictives ». « Aucune infraction dont l’auteur est identifié, précise le ministre de l’intérieur « ne doit rester sans réponse », même si la faute « peut apparaître vénielle ». Pour atteindre son objectif, le futur Président propose d’intensifier la chasse aux consommateurs et d’ajouter à l’arsenal des peines existantes, de nouvelles peines complémentaires, les fameux « stages de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants » payé par le contrevenant.
Désormais, l’injonction thérapeutique peut être prononcée comme modalité d’exécution d’une peine et non plus comme une alternative aux poursuites, laquelle occasionnait une suspension de la procédure judiciaire. Une nouvelle fois, elle renforce les peines quand des mineurs sont impliqués.
Autre nouveauté de la « loi relative à la prévention de la délinquance », la généralisation des tests sur les routes, mais aussi dans les entreprises. Enfin, sur le dépistage en milieu professionnel, la loi aggrave les sanctions pénales applicables aux salariés dépositaires de l’autorité publique (ou chargées d’une mission de service public, ou encore relevant de la défense nationale) pris en infraction d’usage de drogues. Ils encourent désormais une peine de 5 ans d’emprisonnement et une amende de 7 500 euros
Aujourd’hui président de la MILDT, Etienne Apaire qui occupait entre 2002 et 2004 la fonction de Conseiller Judiciaire de Nicolas Sarkozy est un des artisans de ce nouveau et dernier plan de prévention.
Comme si ça ne suffisait pas, le 10 août 2007 est votée la « loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs » plus connue sous le nom de « loi Dati ».
Cette loi instaure automatiquement, en cas de récidive, des peines planchers. Un exemple ? Condamné en tant qu’usager détenteur, un délit passible de cinq ans de prison, tout récidiviste écopera, sauf décision motivée du juge, de deux ans de prison [15].
En finir avec la loi de 1970
La loi de 1970 a fait son temps.
Elle est inappliquée parce qu’elle est inapplicable. Auditionné en avril 2003 par la commission d’enquête du Sénat sur la lutte contre les drogues [16], Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, reconnaît que cette loi dont « l’ objet principal était l’usage de l’héroïne se révèle désormais inadaptée et doit être modifiée » [17].
Dans l’élan, il propose « une échelle de sanctions adaptées qui permette de punir réellement et rapidement tant les mineurs qui consomment occasionnellement du cannabis ou de l’ecstasy que les usagers d’héroïne qui refusent les soins et la substitution ».
« Rien ne sera toléré, s’emporte Nicolas Sarkozy avant d’ajouter péremptoire : « Il n’y a pas d’expérience individuelle, il n’y a pas de jeunes “libres et branchés”, il n’y a que des drogues interdites ».
Jacques Chirac s’en mêle demandant qu’on évalue la loi de 1970. Jean-Pierre Raffarin se prononce pour une contravention en cas de simple usage et s’engage à réformer la loi, mais au sein de la majorité, les avis divergent entre les partisans d’une répression pure et dure et ceux qui privilégient une approche sanitaire.
Afin de pousser le gouvernement à dépénaliser l’usage pour mieux le « repénaliser » Bernard Plasait (le promoteur du rapport « Drogue : l’autre cancer ») et 240 députés déposent le 18 juin 2004 (il n’y a pas de hasard) un projet de loi à l’Assemblée nationale, un projet qui supprime la prison pour les usagers, mais prévoit toute une palette de sanctions très répressives [18].
Finalement, Jean-Pierre Raffarin repousse aux calendes grecques la réforme et. envoie au charbon Didier Jayle. Remplacer la prison par des amendes pourrait « être interprété comme le signal d’une faible dangerosité des stupéfiants » déclare le président de la Mildt
Ses tergiversations d’un autre âge autour de la pénalisation de l’usage laissent pantois, non ? Nos députés sont-ils à ce point à côté de la plaque ? Ne savent-ils pas que la rigueur de la loi n’empêche en rien les gens de fumer, de gober ou de sniffer ? [19] Et qu’une dépénalisation de l’usage (déjà recommandée par le rapport Pelletier en 1978) ne coûterait rien au gouvernement.
La société évolue, mais la loi perdure.
Dans quel autre pays, l’usage en privé d’une drogue est-elle punie d’un an de prison ?
Et puis selon la quantité de « drogue » que vous détenez dans votre poche, votre statut social, vos origines ethniques, votre passé judiciaire, votre attitude, l’humeur des fonctionnaires qui vous contrôlent…Du statut de malade, vous passerez à celui d’usager détenteur et encourrez une peine de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende.
Dans quel autre pays, le législateur punit de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende celles et ceux qui remettent en cause le bien fondé de cette loi ?
Depuis que la loi de 1970 est active, que la guerre aux drogués est déclarée, plus d’un million de personnes ont été interpellées. La répression est bien plus destructrice que les drogues elles-mêmes, elle a gâché la vie de centaines de milliers de personnes dont le seul tort est de s’être adonné à l’usage d’un stupéfiant [20].
Et si cette loi qui assimile les trafiquants de drogues à des terroristes avait au moins réussi à enrayer le trafic ? Même pas ! Entre 2004 et 2009, le nombre de trafiquants interpellés est respectivement de 6007 et de 6296. Concernant les usagers, durant la même période, le nombre d’interpellations est passé de 107 035 à 141 603.
Cette loi, à défaut de disparaître, doit être réformée en profondeur. Elle n’est pas digne d’une démocratie. Les consommateurs de drogues (aujourd’hui illicites) sont des citoyens comme les autres. Ils ne veulent plus d’un État qui les infantilise et leur dicte leurs plaisirs.
Et si en 2010, les associations d’usagers de drogues, les associations qui soutiennent les usagers, les mouvements qui militent pour plus de tolérance, les partis politiques, les syndicats de policiers contraints par leur hiérarchie de harceler les « drogués » ou les syndicats de magistrats dont les tribunaux débordent d’affaires dérisoires… s’unissaient et interpellaient les députés ?
La loi de 1970 a fait son temps. Le moment est venu d’en finir avec les préjugés et les mensonges, le moment d’engager une politique plus pragmatique et moins idéologique…
[1] Voir Dossier D comme drogue, Alain Jaubert, éditions Alain Moreau…Entre autre pour découvrir le rôle de Charles Pasqua dans la French Connection.
[2] Rien d’étonnant à ce que la couverture du premier numéro d’Actuel ait pour titre : « Les communautés contre la famille ».
[3] Cité par Francis Caballero dans « Le Droit de la drogue » Dalloz, 1990
[4] En 1995, le rédacteur en chef du magazine l’Éléphant Rose a été condamné, au nom du L. 630, à un an de prison avec sursis et 300 000 francs d’amende.
[5] Comme Canamo en Espagne ou Hanf en Allemagne.
[6] Cannabis, Lettre ouverte aux législateurs, l’Esprit frappeur, 1994
[7] Comité d’Action pour la Libéralisation de l’Usage de Marijuana et de ses Dérivés
[8] Un rapport rendu public en 1978 dans lequel Monique Pelletier recommande que soit fixé un seuil délimitant l’usage.
[9] Quelques mois plus tard, La bourse de la semaine disparaîtra et sera remplacée par White Flash, la chronique d’Alain Pacadis. Les années babas cèdent la place aux années punks.
[10] Pour mémoire, une circulaire n’a pas force de loi. Elle est seulement une recommandation que les procureurs ne sont pas obligés de suivre.
[11] Le cas de Jérôme Expuesto est symbolique. Ayant avoué naïvement en garde-à-vue qu’il partageait depuis quatre ans le fruit de ses achats cannabiques avec des amis, Jérôme a été condamné à 3 ans de prison ferme…Une peine tellement aberrante (Jérôme n’avait rien d’un trafiquant) que ses parents sont montés au créneau, que ses « clients » l’ont soutenu et que les médias se sont penchés sur son cas dénonçant un des effets pervers de la loi de 1970.
[12] Surnommé le docteur Folamour du cannabis par ses détracteurs, le docteur Nahas est un farouche défenseur de la prohibition.
[13] Sur http://www.lepost.fr/article/2009/02/20/1431005_loi-perben-2-ce-qui-peut-vous-arriver.html, découvrez un scénario de politique fiction inspiré par les lois Perben.
[14] La campagne « Cannabis ce qu’il faut savoir, le cannabis est une réalité ». Cette campagne caricaturale qui a coûté cher aux contribuables a été parodiée par le CIRC sous le titre « Cannabis ce qu’on ne vous dit pas, le cannabis c’est trop mortel » (http://www.circ-asso.net/paris/pages/campagne.php)
[15] Un avocat dans un article du Monde rapportait qu’un de ses clients avait été condamné en récidive à quatre ans de prison pour quelques grammes de cannabis.
[16] Le futur rapport : « Drogue, l’autre cancer » dont le principal objectif a été de remettre en question le travail accompli par Nicole Maestracci au sein de la MILDT et de présenter le cannabis sous un jour très défavorable.
[17] Ce qui fut un peu vite interprété par certains médias comme une dépénalisation. « Cannabis libre ! Comment Nicolas Sarkozy prépare la dépénalisation du pétard. », tel était le titre d’un article de VSD peu après l’intervention du ministre de l’Intérieur.
[18] Une amende de 1 500 euros,la restriction de l’usage de chéquiers, la suspension du permis de conduire ou du permis de chasse, l’immobilisation ou la confiscation du véhicule ou du téléphone portable…En cas de récidive (moins de deux ans après la première infraction), l’usage serait considéré comme un délit passible du tribunal correctionnel.
[19] Une enquête de l’OEDT (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies), indique que 5,4 % des adultes hollandais consomment du cannabis alors que la moyenne européenne est de 6,8 %.
[20] Est un stupéfiant toute substance naturelle ou synthétique figurant sur la liste des stupéfiants… Telle est la définition que donne de ce terme la Convention Unique de 1961.