Le 22 décembre 2014, le collectif Cannabis Sans Frontières adressait cette lettre de doléances au Premier ministre, Manuel Valls.
Lors de votre tournée des capitales européennes, notamment à Londres, vous affirmiez que votre gouvernement est «pro-business». Pragmatique et réaliste, comme Tony Blair en son temps, vous estimez à juste titre, qu’«il n’y a pas de politique économique de droite ou de gauche, il y a des politiques économiques qui marchent et d’autres qui ne marchent pas.» Si vous êtes acquis à cette maxime, il faut donc d’urgence réformer la politique française à l’égard du cannabis, et plus globalement en matière de contrôle des stupéfiants.
Car, à l’aune du constat dressé dans le dernier rapport de la Commission mondiale de politique en matière de drogues, rendu public le 23 septembre à New York et remis à Ban Ki-moon afin de contribuer activement à la réflexion des Etats membres qui se réuniront lors de la session spéciale de l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2016 sur les drogues, n’est-il pas temps de constater l’échec de la politique de contrôle en France et dans le monde ?
N’est-il pas urgent d’adopter une réforme de la politique de contrôle des stupéfiants, pour à la fois garantir le respect des droits humains fondamentaux, améliorer l’accès aux soins et la prise en charge des personnes vulnérables et de véritablement protéger la jeunesse ainsi que l’ensemble de la société des conséquences délétères causées par le trafic ?
La libéralisation serait une alternative après plusieurs décennies de prohibition. La libéralisation ne serait pas une capitulation des valeurs de gauche face à une tendance globale, dont certains Etats aux Etats Unis – berceau de la prohibition – sont les fers de lance.
Outre atlantique aujourd’hui, libéraliser signifie d’abord renforcer le contrôle de la filière du cannabis psychotrope pour tarir les ressources profitant aux organisations criminelles.
Logiquement, il s’agit d’accepter que les dommages individuels et sociétaux causés par la consommation de cannabis psychotrope sont en réalité moindres – et sûrement surévalués du fait d’une approche privilégiant la répression policière à la prévention sanitaire — en les comparant objectivement aux dommages causés par l’alcool ou ceux du tabac. En changeant le statut légal du cannabis psychotrope, votre gouvernement permettrait de nombreuses innovations sociales dont les retombées positives seraient rapidement perceptibles.
Voici en quelques lignes le «pacte d’ingéniosité» de nos doléances que nous vous suggérons d’adopter d’urgence :
Ouvrir un débat public sur les évolutions de la Loi du 31 décembre 1970 relative au contrôle des stupéfiants. Abroger l’Art. L3421-4 du code de la Santé Publique pour favoriser un débat rationnel et équilibré.
Décider d’un moratoire suspendant l’application des conventions internationales pour le contrôle des stupéfiants et des psychotropes, en instaurant une période de régulation expérimentale de 5 ans.
Permettre aux usagers de cannabis psychotrope la production domestique de plantes en efflorescence, et afin de promouvoir un usage responsable, le regroupement d’usagers sous la forme de Cannabis Social Clubs.
Développer et faciliter l’accès au cannabis aux fins thérapeutiques. Soutenir une politique innovante de santé publique par le recours aux cannabinoïdes.
Engager une politique de régulation de la filière du cannabis psychotrope à d’autres fins que médicales : Instauration d’une Agence française de contrôle de la production et de la consommation du cannabis psychotrope : contrôle de la qualité des produits et des standards définis pour la production et la distribution (circuits courts, cahier des charges pour le respect de normes sanitaires et environnementales).
Mettre en place d’un comité d’évaluation scientifique, composé à proportion d’un panel citoyen comprenant notamment les organisations non gouvernementales au premier rang desquelles les associations de défense des usagers, d’experts scientifiques et de responsables institutionnels locaux et nationaux.
Ceci est un appel urgent, à prendre en compte dans le cadre du débat qui s’ouvrira bientôt au Parlement pour l’adoption du projet de loi Santé N°2302 défendue par notre ministre de la Santé, Mme Marisol Touraine.
Voulez-vous véritablement réduire le train de vie de l’État, et réussir les économies budgétaires qui rétabliront la confiance tout en renflouant les caisses du Trésor public ? Voulez-vous lutter contre le blanchiment alimentant des réseaux criminels et redistribuer du «pouvoir d’achat» aux catégories sociales paupérisées en proie à la répression ? Voulez-vous stopper une délinquance juvénile galopante et redonner la primauté à l’éducation et au civisme ? N’est-il pas temps d’endiguer les dérives criminelles qui touchent les quartiers populaires et qui finalement engendrent un fort sentiment d’insécurité favorisant les ennemis de la démocratie ?
Il y a urgence à répondre à ces questions, d’abord au nom de la justice et au «Droit de toute personne au meilleur état de santé physique et mentale possible», également pour améliorer des conditions de vie quotidienne des personnes atteintes de maladies graves. Il y a urgence aussi, parce que le droit doit s’adapter aux évolutions sociétales, et d’évidence la loi doit d’abord s’appuyer sur des arguments scientifiquement validés, comme en atteste le rapport parlementaire remis le 20 novembre 2014 pour le CECPP (Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques) sur l’évaluation de la lutte contre l’usage de substances illicites.
En prenant le leadership mondial sur la question de la sortie du tableau des stupéfiants du cannabis, et à tout le moins de sa reclassification au Tableau 3, comme le préconisait le comité d’experts de la pharmacodépendance de l’OMS en 2003, votre gouvernement affirmerait un rôle pionnier à la France au sein de la Commission des Stupéfiants de l’ONU.
Farid GHEHIOUÈCHE Fondateur du collectif Cannabis sans Frontières