15 janvier 2016
Par Benoit Deshayes
La société Biotrial est mentionnée comme l’entreprise ayant mené l’essai pharmaceutique qui a mal tourné à Rennes. Depuis ce midi, son site ne répond plus. Les questions sur la sécurité des volontaires vont se poser.
Biotrial est dans la tourmente : une personne en état de mort cérébrale, cinq autres hospitalisées dont quatre dans un état très grave, la ministre de la santé Marisol Touraine sur les lieux, à Rennes, un battage médiatique qui s’intensifie depuis ce matin et une enquête ouverte au pôle santé du parquet de Paris… La société rennaise de services, proposant à des particuliers de réaliser des tests pharmaceutiques (autrement dit de tester des médicaments contre indemnités), est depuis ce vendredi matin citée dans l’affaire de l’essai thérapeutique (ou test de médicament) qui a mal tourné dans la capitale bretonne. Plusieurs médias dont Le Point et Europe 1 ont rapidement mentionné son nom comme celui du commanditaire de ces tests pour le compte d’un grand laboratoire portugais, Bial. Selon la chaîne d’info iTélé, le médicament testé serait “un produit antalgique à base de cannabis”, ce qu’a démenti Marisol Touraine dans l’après-midi. “Il agit sur le système endo-cannabinoïde”, a-t-elle dit. On n’en sait pas plus à ce stade sur la molécule ayant provoqué cet accident sanitaire très grave.
Suite à la révélation de cette affaire, la société Biotrial a diffusé un communiqué dans lequel elle affirme que “la priorité reste la sécurité de (ses) sujets”. “Durant une étude FIM qui était conduite pour un client, de graves événements contraires liés au test de molécule se sont produits chez certains patients à notre CPU”, a reconnu l’entreprise. Le laboratoire explique ensuite que “l’essai a été mené en totale application des règlementations internationales”. “Les protocoles de Biotrial ont été suivis à chaque étape pendant l’essai, en particulier la procédure d’urgence pour le transfert des sujets à l’hôpital”, peut-en encore lire.
Selon Ouest-France, la société Biotrial est “un acteur reconnu et respecté de la recherche médicale”. Sur son site Internet, indisponible depuis midi ce vendredi, Biotrial indique mener depuis 20 ans des tests du genre. La société a été crée en 1989 et emploie aujourd’hui 300 salariés dans le monde, dont 200 à Rennes. Elle affiche un chiffre d’affaires de 35 millions d’euros. Depuis sa création, elle se vante d’avoir reçu dans sa clinique 55 000 patients et de mener 80 études par an, dont 20 à 25 simultanées. Sa spécialité : les tests thérapeutiques de nouveaux médicaments sur des personnes volontaires, rigoureusement suivies et indemnisées pour les contraintes subies (bilan de santé au début de l’essai, batterie des tests réguliers pendant et après le traitement, parfois des hospitalisations pour un suivi plus poussé ou en cas d’effets secondaires). Parmi ses faits d’armes : le Viagra ou encore le Prozac, qui sont passés par ses labos et ses volontaires avant d’être commercialisés.
Des questions sur la sécurité des volontaires de Biotrial
Après l’accident, nombre de questions seront immanquablement posées autour de la sécurité des “cobayes” de la société Biotrial. D’après son président Jean-Marc Gandon, la spécialité de l’entreprise serait l’essai de médicaments “entre la 4e et la 6e année de développement”, autrement dit quand les tests passent “de l’animal à l’humain”. Le site Internet du groupe, comme son PDG, mettent donc l’accent dans tous leurs outils de communication (à commencer par les appels aux volontaires), sur la sécurité et tentent de faire de la pédagogie sur les risques, affirmant être transparent sur les effets indésirables des médicaments testés.
Pourtant, l’année dernière, en novembre 2014, au moment de discuter du “choc de simplification” promis par François Hollande, ce chef d’entreprise pestait dans les colonnes de Ouest-France contre les lenteurs administratives, affirmant avoir dû rappeler des clients américains et portugais après le report de tests. Principal grief : un délai d’attente “de 60 jours minimum” pour obtenir les autorisations de l’agence du médicament et du comité de protection des personnes avant de lancer ses tests, alors que chez nos voisins européens ces délais étaient selon lui de 15 jours. Et le chef d’entreprise de dénoncer les “arguments bidons” des autorités qui se basaient sur la sécurité du patient avant l’aspect économique. “Aucun politique ne veut se mouiller face à la sécurité des patients !”, s’indignait Jean-Marc Gandon dans le quotidien régional, assurant que cette frilosité française lui faisait rater plusieurs contrats et expliquait l’ouverture de plusieurs sites de Biotrial à l’étranger.
A la fin de l’année 2014, Biotrial, présent au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, ambitionnait de multiplier son chiffre d’affaires par trois et affirmait pourvoir aller beaucoup plus vite avec une réduction des délais d’autorisation, estimant chaque jour de retard à un million d’euros de manque à gagner.
Biotrial : des tests de médicaments rémunérés
Les essais pharmaceutiques sont indemnisés entre 100 et 4500 euros par Biotrial, le plafond annuel fixé par la loi pour ce genre d’essais, très encadrés. Une rémunération correspondant à une indemnité plus qu’à un salaire. Les essais thérapeutiques ou cliniques n’ont pas vocation à faire intervenir des testeurs professionnels. Jean-Marc Gandon, le président de Biotrial se défendait d’ailleurs, toujours dans les colonnes de Ouest-France, d’attirer ses “cobayes” par l’argent. “L’argent qu’ils perçoivent n’est pas ce qui les motive le plus, c’est ce qu’ils nous disent en tout cas ! Ils mettent en avant plutôt leur désir de faire progresser la recherche médicale, et c’est parfois lié à une maladie dans leur entourage”, indiquait-il dans le quotidien.
Dans son viviers de volontaires, le laboratoire affirmait fin 2014 avoir peu d’étudiants, mais un groupe équilibré d’hommes et de femmes de 18 à 80 ans, tous “en bonne santé”. Biotrial disposait d’un agrément du ministère de la Santé pour ses activités. Tous ses tests étaient soumis à l’avis favorable d’un Comité de protection des personnes ainsi qu’à l’autorisation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Le site de Biotrial indisponible depuis midi ce vendredi