Par Christine Mateus
29 janvier 2016
Un éminent professeur jette un pavé dans la mare en proposant, ce vendredi lors d’un congrès de pneumologie, de revenir sur l’interdiction de ce stupéfiant.
On ne s’attendait guère à entendre des arguments en faveur de la dépénalisation du cannabis venir de ce côté-là. Le débat est relancé de façon inattendue et cela vient d’un médecin. Le professeur Bertrand Dautzenberg (lire interview ci-dessous), éminent pneumologue, a pris position pour une dépénalisation encadrée de cette drogue dont la consommation ne cesse d’augmenter.
Une des preuves, selon lui, de l’inefficacité de la prohibition totale, en vigueur depuis 1970. Ses propositions vont être débattues ce vendredi à Lille (Nord) lors du 20e congrès de pneumologie de langue française.
Un médecin aura-t-il plus de poids que les politiques, les seuls à avoir parlé de dépénalisation contrôlée, à l’instar d’un Vincent Peillon (PS), alors ministre de l’Education, ou qu’un Daniel Vaillant (PS), alors député de Paris et ancien ministre de l’Intérieur ? « Puisque les politiques n’osent pas bouger, parce qu’il leur est impossible de parler de ça sans se faire descendre en flamme, c’est à la société civile d’initier ce débat », justifie Bertrand Dautzenberg. Dans son livre, « Drogues : sortir de l’impasse »*, Anne Coppel, sociologue et fondatrice de l’AFR (Association française pour la réduction des risques liés à l’usage des drogues), décrit cette sclérose dès l’introduction : « Défenseurs de l’ordre moral d’un côté, libertaires de l’autre, le débat public est enfermé dans des positions de principe. »
Le professeur Dautzenberg, ex-président de l’Office français de prévention du tabagisme, met un sacré coup de pied dans la fourmilière, même si sa position n’est pas unanime parmi ses pairs. Alors que 17 millions de Français ont déjà fumé un joint, que les jeunes reconnaissent sans détour en consommer, plus question de se voiler la face et de ne répondre qu’à ce fléau par une interdiction de façade. Les consommateurs sont hors la loi. La peine se traduit le plus souvent par une amende pouvant aller jusqu’à 3 750 € mais l’emprisonnement reste exceptionnel.
«Plus c’est interdit, plus il y a de consommateurs»
On le connaît mieux pour sa croisade contre le tabac et comme ardent défenseur de la cigarette électronique. Le professeur Bertrand Dautzenberg, pneumologue à la Salpêtrière (Paris XIIIe) prend ce vendredi la parole pour prôner la dépénalisation du cannabis afin de réduire les risques d’une consommation qui va crescendo.
Comment un médecin réputé et reconnu comme vous en vient-il à se prononcer pour la dépénalisation du cannabis ?
Bertrand Dautzenberg: Moi, j’observe et je constate que la consommation de cannabis chez les jeunes augmente, que la France est numéro un en Europe avec 45 % des jeunes qui ont déjà essayé alors que, dans d’autres pays comme les Pays-Bas, où il est légalisé, le taux est de 29 %. Plus c’est interdit, plus il y a de consommateurs. Depuis deux-trois ans, nous avons aussi le retour d’expérience d’Etats américains qui ont assoupli la législation et on voit qu’il y a une diminution de la criminalité liée au trafic, qu’il n’y a pas plus d’accidents de la route, que la consommation n’explose pas et que, surtout, les consommateurs prennent des produits plus sains. Là-bas, la majorité du cannabis utilisé l’est sous forme de vaporisation, donc sans fumée nocive pour les poumons, limitant les effets toxiques au cannabis seul. C’est le succès des autres qui me donne envie de faire la même chose.
Le cannabis ne devient-il pas ainsi un produit comme les autres ?
C’est un produit dangereux et il faut des règles. Je suis contre le cannabis comme je suis contre le tabac. Il ne faudrait pas en prendre du tout. Je ne suis pas davantage pour le cannabis vaporisé en tant que tel, mais cela permet de sortir de quelque chose d’encore plus dangereux, sachant qu’en France nous consommons la forme la plus toxique avec de la résine de cannabis et du tabac. Notre législation favorise le danger. Une dépénalisation — c’est quasiment mécanique — entraîne des produits étiquetés, traçables et de meilleure qualité. Le cannabis en France aujourd’hui, c’est l’alcool frelaté du temps de la prohibition. Tout cela doit bien sûr être contrôlé. Il ne s’agit pas de dépénaliser pour que ce soit partout, n’importe comment.
Quels seraient les avantages ?
Avoir une réglementation qui ne soit pas pénale permet de faire de la prévention dans les écoles, sur le lieu de travail, ce qui va donner lieu à une diminution de la consommation. La loi Evin, en encadrant le tabac et l’alcool, a eu comme conséquences deux fois moins de cigarettes vendues par Français qu’en 1991, date à laquelle elle a été mise en place, et 25 % de vente d’alcool en moins. En revanche, pour le cannabis, avec cette prohibition totale, nous constatons une augmentation de 20 % depuis la même date. Cette loi stupide est une des causes de l’augmentation du nombre d’usagers en France. Elle empêche également un dialogue serein dans les familles. Sur l’alcool et le tabac, les parents et le jeune peuvent échanger. Pas sur le cannabis où il y a une incompréhension totale.