Source: Rue 89.com
Par Alexandre J.
2 mai 2009
A une semaine de la Marche mondiale du cannabis (célébrée comme chaque année dans 250 villes du monde, dont Paris, Marseille ou Colmar), et alors que le dossier du cannabis thérapeutique avance aux Etats-Unis et en Allemagne, Drogues news a proposé à l’Association internationale pour le cannabis médical de faire le point sur un débat largement ignoré en France.
Le 7 février 2009, la première patiente allemande a pu se procurer du cannabis médical en pharmacie, sur ordonnance, et sur autorisation spéciale de l’Institut fédéral des produits de santé (BfArM), équivalent allemand de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
Sept autres patients, atteints de douleurs chroniques, de sclérose en plaques, du syndrome de tourette ou d’autres maladies graves, bénéficient également d’une telle autorisation et d’un accès à leur médicament en pharmacie. Le Dr Harald Hans Körner, procureur de Francfort et commentateur réputé de la loi sur les stupéfiants, a dore et déjà indiqué qu’il était nécessaire de simplifier la procédure de demande d’autorisation pour les patients.
Ce bouleversement de la médecine outre Rhin a été rendu possible grâce à un débat national actif depuis le début des années 90. L’Association internationale pour le cannabis médical (IACM), basée en Allemagne, et créée en 2000 par un groupe de médecins, de scientifiques et d’experts, a largement contribué au lancement de ce débat passionné.
Elle a notamment permis le partage des données scientifiques issues de la recherche fondamentale et clinique, et à faciliter le dialogue entre professionnels de la santé et patients. De fil en aiguille, la conscience médicale et collective a changé et aujourd’hui les patients allemands commencent à bénéficier de traitements actuellement inaccessible en France.
L’Allemagne n’est pas un cas unique, bien au contraire. Elle suit en effet la tendance, marquée dans les pays occidentaux, de dépénaliser l’usage médical du cannabis.
L’usage thérapeutique du cannabis en Amérique du Nord
Les années 2000 ont vu s’intensifier les recherches sur le cannabis, les cannabinoïdes et le système humain endocannabinoïdes. Leur nombre a plus que doublé dans les dix dernières années.
Une partie grandissante de la communauté médicale internationale accepte que le cannabis est un agent thérapeutique efficace pour le traitement d’une myriade de pathologies :
* nausées/vomissements
* douleurs
* glaucome
* épilepsie
* dépendances
* asthme
* hyperactivité
* maladie d’Alzheimer…
Dans certains pays comme les Etats-Unis, les gouvernements financent même la recherche fondamentale et clinique. Les Etats-Unis font en effet figure de pionniers.
Aujourd’hui, 13 Etats tolèrent le cannabis médical. En 1996, un referendum de l’Etat de Californie approuvait l’utilisation médicale du cannabis et de ses dérivés. Ensuite s’en est suivi une cascade d’affaires juridiques dans différents Etats, opposant juges d’Etat et fuges fédéraux, ce qui conduisit progressivement à l’assouplissement des lois dans les autres Etats :
* 1998, Oregon, Washington, Alaska
* 1999, Maine
* 2000, Colorado, Hawaï, Nevada, Maryland
* 2004, Vermont, Montana
* 2006, Rhodes Island
* 2008, Michigan
Cette tendance devrait se poursuivre, notamment en raison de l’accession aux responsabilités de l’administration Obama. En mars 2008, Obama avait déclaré à un journaliste :
« Je ne veux pas avoir un département de justice qui persécute et arrête des usagers de marijuana médicale. »
Cette nouvelle a été accueillie par un grand soulagement par les organisations de défense des malades.
A coté de son voisin pionnier, le Canada a naturellement suivi le mouvement. Au début des années 2000, un procès a opposé le gouvernement fédéral et un distributeur de cannabis à usage thérapeuthique. L’acquittement de l’accusé, par la cour fédérale de justice, a permis la création officielle du premier Centre compassion de Montréal. Celui-ci distribue maintenant depuis plusieurs années des variétés médicales de cannabis, du haschisch, ainsi que des produits préparés comme des biscuits, des gélules. (Voir la vidéo)
Reconnaissance de l’usage thérapeutique du cannabis en Europe
En Europe, la situation est complexe, puisque chaque pays dispose de ses propres lois régissant les stupéfiants, et donc le cannabis. Bien que les propriétés thérapeutiques soient de plus en plus établies, l’ONU n’a pas encore infléchi sa position quand au classement du cannabis comme stupéfiant ne présentant pas de propriété thérapeutique.
De ce fait, tous les pays européens, hormis les Pays Bas et l’Espagne, ont adopté une politique prohibitionniste interdisant non seulement l’usage, mais également l’importation et la culture du cannabis.
Aux Pays bas, bien que l’usage et la culture soient dépénalisés, le commerce reste réglementé. La politique hollandaise en matière de santé publique s’est orientée, depuis le début des années 2000, vers une volonté de distribuer du cannabis médical en pharmacie, sous l’autorité du ministère de la Santé (BMC).
Une gamme de produits a été développée par la société Bedrocan. Ces produits répondent à des normes pharmaceutiques strictes, notamment en termes de contrôle de bactéries, métaux lourds et pesticides.
Trois qualités sont disponibles depuis 2003, avec des teneurs en principes actifs THC et CBD titrées, connues et reproductibles. Elles sont distribuées sur ordonnance à tous les patients, sans distinction de nationalité (principe de non discrimination des malades). Les Pays Bas disposent en effet d’un droit d’exportation dans le cadre des accords européens.
La création des médicaments standardisés BedrocanBV (Bedrocan®, Bediol® et Bedrobinol®) permet dorénavant aux médecins européens de pouvoir prescrire à leurs patients. Ainsi, de nombreux pays ont compris l’opportunité de réglementer de nouveaux médicaments.
La Finlande a été le premier pays à importer les produits BedrocanBV, suivie de l’Italie et de l’Allemagne. Le Royaume Unis importe également à des fins de recherche. Une demande de mise sur le marché européen est également en cours pour permettre la libre circulation en Europe.
Quelles solutions pour les malades français ?
Dans ce contexte de changement qui s’accélère, la France semble être laissée sur place. D’une part la littérature scientifique et les publications françaises relatives au sujet du cannabis médical et des cannabinoïdes sont pratiquement inexistantes.
D’autre part, il est surprenant de constater l’absence de participation des scientifiques français aux congrès sur les cannabinoïdes. De toute évidence, la prohibition en France a parfaitement bien fonctionné. La France semble aujourd’hui éviter le débat national sur le cannabis médical. Mais pourquoi ?
Probablement à cause de la peur et du conditionnement collectif des dernières décennies. Les maladies, quelles qu’elles soient, ne connaissent pas de frontière, et les malades français disposent des mêmes droits de se soigner que les malades américains, canadiens, hollandais, espagnols ou allemands. En 2009, est-il encore concevable d’interdire aveuglément l’accès contrôlé au cannabis pour des malades souffrants qui en ont besoin ?
D’un point de vue légal, l’unique solution pour un patient est de demander une ATU (Autorisation temporaire d’utilisation) nominative au Directeur de l’Afssaps pour l’usage d’un médicament ne disposant pas d’autorisation de mise sur le marché.
Les démarches administratives, ainsi que l’issue incertaine des demandes, ont découragé les patients et les médecins : le nombre de ces demandes est en baisse constante depuis plusieurs années. Cela signifie t-il que les malades sont moins nombreux à avoir besoin de ces médicaments ?
En réalité, les patients ont dû rechercher d’autres solutions pour palier la prohibition. Certains, soutenus par leur médecin français ou étranger, ont pu disposer de prescriptions et ainsi ramener du cannabis médical hollandais à leurs risques et périls.
Les autres, pour des raisons également économiques, se sont tournés vers l’autoproduction, réaction humaine bien naturelle si l’on considère la liberté de se soigner comme un droit fondamental et inaliénable. On estime aujourd’hui à 200 000 le nombre de cultivateurs en France.
Alors que l’accès au cannabis médical évolue rapidement dans les pays occidentaux, la France n’a pas encore abordé un débat national pourtant nécessaire. Pourtant, les malades français disposent des mêmes droits fondamentaux que leurs concitoyens européens. Avec les changements rapides qui se produisent notamment en Allemagne, les patients français pourraient bien profiter bientôt d’un accès facilité outre Rhin.