Regards vides, visages effrayés. C’est ce à quoi j’ai fini par m’attendre chaque fois que je parle à une personne n’ayant jamais sérieusement pensé aux drogues. Les drogues sont tellement tabou que l’esprit d’une personne moyenne ne va pas au-delà de stéréotypes tels que « les drogues créent une dépendance ». Conséquemment, les conversations auxquelles je participe ressemblent habituellement à une séance de “speed-dating” où je nuance leurs (mauvaises) représentations. Je leur présente de l’information, leur demande comment ils la perçoivent, me renseigne sur leur cadre de référence, dans l’espoir d’arriver à un point de rencontre mutuel où nous pourrons parler des lois actuellement en place. La conversation se centre alors autour de la prise de conscience du fait que les lois ne font pas sens par rapport aux méfaits causés par de l’usage de drogues. Il y a une petite fête de confettis dans ma tête quand j’arrive à ce stade de la conversation. Au moins, mon interlocuteur comprend que la question est bien plus vaste. Si j’ai de la chance, je peux arriver à ce stade en deux heures, et suis alors satisfait de l’élargissement que j’ai su insuffler à leur point de vue. A ce stade, je les laisse partir et suis heureux de changer de sujet.
Ce qui est malheureux lors de ces conversations, c’est que cette nouvelle représentation des drogues laisse à mon interlocuteur l’idée qu’il s’agit juste d’une autre injustice, touchant un groupe auquel il n’appartient pas et sans relation directe à lui-même. La difficulté que nous rencontrons le plus fréquemment est que le problème n’est pas pertinent pour la plupart des gens. Par exemple, aux Pays-Bas, 70% de la population veut améliorer les politiques actuelles sur le cannabis, mais le manque d’intérêt pour ce sujet favorise le status quo et pérennise notre marché noir institutionnalisé. Idéalement, je voudrais que la conversation s’oriente vers ce sujet : comment les politiques actuelles entravent-elles, limitent-elles et pénalisent-elles mon interlocuteur, et la société dans son ensemble ? À quoi servent les impôts qu’il paie ? Quels bénéfices pourraient- on retirer de politiques justes et efficaces ? Ce sont des questions que j’aimerais aborder dans ce bulletin.
Je ne ferai pas de description extrêmement détaillée, et ne présenterai aucune preuve irréfutable pour les propositions présentées. Je suis sûr que vous savez comment débattre de la majorité d’entre elles. Toutefois, je les présente en pensant à l’ensemble de la société ; comment la société et les personnes qui la composent bénéficieraient de meilleures politiques, même si elles n’ont été touchées par les drogues. Certaines propositions conviennent à tous les types de drogues, d’autres ne s’appliquent qu’à des drogues et des usages spécifiques. La plupart des éléments proviennent de l’observation selon laquelle 80 à 90% des consommateurs de drogues pratiquent un usage non-problématique (Executive summary, xi), et la société ne peut que bénéficier de leur inclusion.
Impôts
Personne n’aime payer des impôts. Toute personne qui paie des impôts espère que cet argent soit bien dépensé. Les dépenses actuelles du gouvernement, dans un marché prohibitionniste, pourchassant toute personne enfreignant les lois sur les drogues, ne semblent pas correspondre à la catégorie « bien dépensé ». Dans un marché légalement réglementé, on peut s’attendre à ce que ces dépenses aient plus de sens. Ce qui devrait plaire à tout contribuable.
Tout d’abord, il y a évidemment les dépenses pour les forces de l’ordre. Ajoutez à cela que celles-ci font partie d’un système bien plus vaste comprenant avocats, juges et ministère public. Aux Pays-Bas et en Belgique, les juges déclarent parfois des affaires judiciaires irrecevables, en raison de la structure de la loi. Certains juges semblent s’ennuyer de ces cas et préféreraient travailler sur d’autre cas. Leur temps est aussi de l’argent. Un marché légalement réglementé permettrait de réduire les dépenses pour le travail de ces fonctionnaires, ou du moins de libérer leur temps pour d’autres travaux. La quantité de temps libérée lorsque tous ceux qui travaillent dans ce système défectueux sont utilisés pour quelque chose d’efficace semble énorme.
De l’autre côté, les entreprises et les organisations composant un marché légalement réglementé pourraient être imposées, ce qui se traduirait par plus de revenus pour l’État, ce qui signifie plus de moyens pour créer des solutions pour la société dans d’autres domaines. Illustration : Selon les données de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et l’Agence Européenne de lutte contre la criminalité Europol, le commerce mondial annuel de drogues vaut environ 435 milliards de dollars par an. Ce n’est probablement pas une conversion “un à un”, mais c’est de l’ordre de grandeur de ce qui pourrait s’ajouter à l’économie civile. Cette activité économique taxable pourrait soutenir et contribuer à la richesse dont dispose la société pour s’améliorer et se développer.
Sûreté des drogues
Dans un marché légalement réglementé, la sécurité des acheteurs et des vendeurs, ainsi que la qualité des produits sont améliorés. Cela signifie que moins de services d’urgence devront être utilisés (ambulances, soins,… ), que ce soit pour des fusillades de gangs, des overdoses accidentelles, ou l’ingestion d’une drogue que l’on croyait être une autre. La société supporte actuellement tous les coûts de ces évitables dégâts. Des produits plus sûrs et un environnement social d’achat plus sécurisé protègent notre jeunesse. Une régulation légale est une manière de protéger la jeunesse contre les influences sociales négatives associées aux activités illégales.
Schémas d’usage
Cette recherche préliminaire suggère que la consommation d’alcool a diminué suite à la légalisation du cannabis. C’est un bénéfice de plus pour la société, car on peut s’attendre à ce que les coûts associés à la consommation d’alcool diminuent également. Quand je vois les dégâts et les détritus jonchant les rues chaque samedi soir, je ne peux m’empêcher de penser au coût engendré par les nettoyages et les réparations. Si le nombre de personnes souffrant de maladies liées à la consommation d’alcool diminuait, cela permettrait aussi à la société d’épargner de nombreux coûts de santé actuellement supportés par nos taxes. Si le nombre de personnes décédant des suites de la consommation d’alcool diminuait, nos proches seraient plus longtemps avec nous.
Soins de santé
Une société en bonne santé n’existe qu’à travers des personnes en bonne santé. Il existe des indicateurs prometteurs qui montrent qu’un certain nombre de drogues actuellement illégales pourraient être utilisées dans les services généraux de santé pour atténuer des problèmes qui semblent encore hors de notre portée. La toxicomanie, le trouble du stress post-traumatique (TSPT), la dépression, l’anxiété de fin de vie et la douleur sont les premiers maux actuellement étudiés. Le bénéfice pour la société serait assez spectaculaire si ces affections étaient soulagées, car elles représentent un pourcentage important de ce qui fait souffrir les gens, et de ce pour quoi ils ont besoin d’aide. Cette aide ne coûte pas seulement de l’argent ; la guérison des malades les rend à nouveau capables de contribuer à la prospérité de la société.
Comprendre le cerveau et l’esprit
Actuellement, la recherche scientifique sur la nature de notre conscience est limitée. Les substances psychotropes ont un rôle important à jouer dans ce domaine, en tant qu’instruments de recherche. Des instruments permettant d’étudier la conscience en la démontant. Faisons la comparaison avec la réparation d’une radio. Si vous voulez réparer votre radio ou si vous voulez savoir comment elle fonctionne, la méthode habituelle est de la démonter. Vous sortez toutes les vis et ouvrez le boîtier, puis vous continuez et sortez d’autres vis pour finalement avoir un aperçu de ce à quoi ressemble l’intérieur. Par les relations que vous voyez entre les composants, vous avez une idée du fonctionnement de la machine. Ensuite, vous pouvez la réassembler. La recherche scientifique dans d’autres domaines fonctionne de manière similaire. Il faut qu’un certain nombre d’objets, qu’il s’agisse de plantes, d’animaux, de roches ou de fluides, soient décomposés, pour qu’on puisse observer leur fonctionnement. C’est ainsi qu’on a découvert les atomes. De manière analogue, dans un cours de psychologie sur l’esprit humain, la première chose que vous apprenez est que les connaissances les mieux établies sur la façon dont notre esprit fonctionne en relation avec notre cerveau sont tirées de l’observation de personnes ayant eu une partie de leur cerveau amputé par accident ou maladie. Leur cerveau ne fonctionnait pas normalement et les chercheurs pouvaient mieux observer la relation entre le cerveau et la pensée. Les substances psychotropes ont la capacité de changer temporairement le fonctionnement du cerveau, et peuvent ainsi nous apprendre beaucoup sur la pensée, sans avoir besoin d’utiliser un scalpel ou de dépendre d’accidents. Il a été suggéré que la portée potentielle du LSD et d’autres psychotropes en psychiatrie et en psychologie est comparable à celle du microscope en biologie ou du télescope en astronomie. Ce sont des instruments pour voir, percevoir et mieux comprendre l’univers dans lequel nous vivons. La compréhension de la conscience peut ne pas se trouver sur votre liste de priorités mentales journalières, mais pourquoi pas ? Tout ce que vous expérimentez se produit dans cette conscience. Une vue plus élaborée de sa nature, son contrôle, son évolution, du fonctionnement de l’apprentissage et de l’origine des idées pourrait grandement améliorer votre vie, celle de vos proches et de l’humanité dans son ensemble.
Améliorer la confiance dans le gouvernement
Notre gouvernement national n’est pas le seul à établir des politiques publiques. Il existe environ 200 pays à travers le monde, et chacun d’entre eux contient de nombreux organismes de niveau inférieur, tels que les villes et les provinces, qui établissent aussi des politiques publiques. Cette évidence a une conséquence : différents types de politiques publiques sont mis en œuvre, avec des résultats différents. Ce qui est également vrai pour les politiques des drogues ; différentes politiques sont mises en oeuvre, certaines sont plus efficaces et plus justes, et d’autres le sont moins. Bien que cela nous paraisse évident, les politiciens, eux, semblent penser qu’ils doivent inventer la roue à chaque problème, et font ainsi valoir que ce qui fonctionne ailleurs ne correspond pas aux problèmes de leur propre pays. Ce raisonnement est clairement erroné, car les effets des drogues ne changent pas lorsqu’elles franchissent une frontière. Il est aujourd’hui établi que les politiques prohibitionnistes dans le domaine des drogues sont le choix politique le moins efficace ; elles sont pourtant la norme mondiale.
Ce choix malsain réduit la confiance accordée à nos institutions gouvernementales. Si de meilleures options existent, pourquoi ne pas les appliquer ? C’est surtout quand les gouvernements protègent des mensonges extrêmement dangereux mais enracinés dans la loi qu’il devient difficile de prendre ces lois et les personnes qui les soutiennent au sérieux. Par exemple, quand un gouvernement assimile l’héroïne au cannabis, cela mine la capacité des personnes éduquées sur le sujet à lui faire confiance. La confiance dans les institutions est importante pour une société car sans cette confiance, elle tombera en morceaux, et le développement de modes de vie profitables à tous sera bien plus difficile. Si tous nos gouvernements se trompent si lourdement sur les dangers posés par les drogues, et sur la meilleure façon de les réglementer, on est en droit de se demander quels sont les autres sujets pour lesquels ils se trompent.
Un autre élément remarquable est l’évidence que, lorsqu’on interdit un marché qui a, comme l’a déclaré l’économiste Milton Friedman, un acheteur et un vendeur consentants, l’interdiction de ce commerce fait émerger un marché noir. La prohibition des drogues crée donc un marché noir. Winston Churchill le savait aussi. La prohibition ne fait pas diminuer la consommation, ne protège pas la santé des consommateurs et ne rend pas les rues plus sûres. Par contre, elle transforme un marché qui pourrait s’auto-organiser en marché non réglementé. Si vous et moi pouvons le comprendre, et que Winston Churchill le comprenait, ne pensez-vous pas que nos décideurs devraient également être capables de le comprendre ? Mais alors pourquoi voudrait-on créer un marché noir ? Comment cela profite-t-il à la société ?
Pour sûr, il y aura toujours un marché noir de produits réglementés. Il y a un marché noir pour les cigarettes, l’alcool, les défenses en ivoire, les armes, les billets de concert, et je suppose que l’on peut concevoir nombre d’autres exemples de biens ou de services touchés par ce phénomène. Tant que le marché réglementé s’équilibre par rapport au marché noir, le préjudice pour la société est minimisé. Dans le cas de la drogue,nos gouvernements choisissent consciemment de créer un marché entièrement noir, possédant toutes les caractéristiques négatives qu’on lui connaît.
Une fois de plus, la quantité d’options disponibles et bénéfiques pour la société, contrastées avec les choix de nos gouvernements, remettent en question leur sagesse et leurs intentions, ce qui n’est pas bon pour la société dans son ensemble.
Réduire la souffrance
La chaîne d’approvisionnement de l’XTC (ecstasy) a un côté obscur. Suite à la réglementation contrôlant ses composants, les producteurs en ont cherché de nouveaux qui puissent être utilisés dans le processus de production. Ils les ont trouvés dans les forêts tropicales du Cambodge. Là-bas, les composants qui constituent l’XTC sont récupérés par des gangs locaux, surveillant les fermiers arme au poing. Cette situation est détrimentale autant pour la forêt tropicale que pour les cambodgiens.
La chaîne d’approvisionnement de la cocaïne est bien plus dramatique. L’ampleur des dommages causés ; aux personnes, aux communautés et à la société, est effroyable.
Choisir, en tant que société, de réglementer légalement le marché de la drogue, réduirait grandement cette souffrance, ce qui me semble être une bonne incitation à le faire.
Légitimer l’art, la créativité et la pensée innovante
Réglementer légalement les drogues, c’est reconnaître leur place dans la société et dans la réalité. Cela réduirait le tabou entourant la consommation de drogues et l’altération de la conscience. Bon nombre de personnes reconnaîtront qu’altérer sa conscience est souvent une source d’inspiration artistique, de créativité et d’innovation. Outre le plaisir généré par cette créativité, un élément me semble devoir être souligné : développer de nouvelles formes de pensée est essentiel pour l’humanité. Notre monde ne manque pas de problèmes importants, tels que le changement climatique, exigeant quantité d’innovation et de créativité de la part de tous pour être résolus. Légitimer un des principaux catalyseurs de ce type de pensée pourrait suffisamment accélérer les changements sociétaux nécessaires, pour atteindre la durabilité avant son effondrement, et ce quelle que soit la planète où elle se trouve.
Une requête étrange ?
Pour résumer, j’ai tenté, dans ce bulletin, de montrer que les sociétés consommatrices de drogues gagneraient à les légaliser. Et je suis loin d’avoir fini d’explorer le sujet. Ce qui m’apparaît plus clairement, c’est l’irresponsabilité pour une société d’enfermer dans l’illégalité un marché composé exclusivement d’acteurs volontaires. Cette décision génère des conséquences négatives pour tous les acteurs de la société, mais impacte plus lourdement ceux qui sont impliqués dans ce marché exclu. Un marché 100% noir se retrouve rapidement pollué par des agents profitant de l’anarchie, qui, forts de manigances violentes, y saisissent le pouvoir. Les autorités officielles et celles du marché noir finissent alors par s’affronter et la guerre s’ensuit. Ne pas arriver à compenser le marché noir par un marché légalement réglementé crée un système totalitaire indépendant de nos lois. Quoi de plus destructeur, irresponsable, injuste et inefficace ?
Libérer l’humanité des drogues est aussi illusoire que de faire disparaître les marchés noirs. Mais l’actuelle cruelle absence de lois me pousse à demander, à supplier, et même à crier pour une chose que je n’aurais jamais cru vouloir : PLUS DE LOIS ! Des lois pour régir le marché, protéger les clients, encourager les producteurs et les commerçants, et garantir la qualité des produits. Plus de lois, pour développer une politique des drogues qui soit juste et efficace.
Nouvelles du secrétariat :
Nous sommes actuellement au CND. Nous sommes en place pour une semaine intéressante avec à la fois public présence pour sensibiliser les gens de Vienne et des environs à cette question, et une participation durant le CND lui-même. Lors du rassemblement, Gaby et Enrico ont participé à la discussion sur le cannabis.
Plus tôt le 27 février, Enrico a pris la parole. Il a présenté la réunion sur les élections libres et égales en Italie. Libre et égalitaire est la principale coalition de gauche qui court en Italie, qui s’adresse également aux fuyards du parti démocrate au pouvoir. Enrico a parlé au nom d’ENCOD en Toscane.
Notre vice-président Matthijs a eu un discours engagement aswel. Le 25 février, il a parlé à la Société Psychédélique des Pays-Bas de solutions que propose le Parti Pirate, y compris son point de vue sur la transformation des politiques actuelles en matière de drogue.
ENCOD est représenté aux événements suivants :
CND 12 – 16 mars, Vienne