SYNTHESE « à propos du sommet des drogues de l’ONU
Vienne – 11 au 20 mars 2009 »
Par Farid Ghehiouèche
Analyse résumée :
Le sommet de l’ONU s’ouvre à Vienne du 11 au 20 mars. Alors que l’administration Obama se met en place, il semblerait que les Etats Unis puissent évoluer vers une politique plus humaine, tandis que l’Union européenne dévoilera les conclusions du rapport de la Commission Reuter signalant globalement que la « stratégie anti-drogue colporte plus de problèmes qu’elle n’en résoud » .
Cette réunion marquera peut-être l’histoire.
Soit l’assemblée des états membres réunis à haut niveau décide l’impensable, donc de continuer comme avant. Soit elle décide de prendre le temps de bien réfléchir à la situation, et elle adopte un moratoire.
Cette proposition de moratoire émane de la société civile, mais elle est de plus en plus partagée par certains Etats membres présents à la CND, car elle semble nécessaire pour répondre durablement aux problèmes liés à la politique des drogues actuelle.
Les enjeux sont connus : Il s’agit d’éviter les mots creux et les poncifs habituels, de revenir aux preuves scientifiques en cessant le moralisme convenu (tout en évitant le dogmatisme), d’obliger les Nations unies à sauver des vies grâce à la politique de réduction des risques, de réellement améliorer le contrôle internationale des drogues… Car il est criminel de ne pas mettre en place les mesures qui s’avèrent efficaces pour lutter contre le HIV-Sida et d’autres pathologies.
En vue de fournir quelques clés pour comprendre le déroulement du Sommet des Nations unies sur les drogues, voir ci-dessous cette note d’information réalisée à partir de quelques publications spécialisées.
Quid des évolutions et des constats liés aux développements et rapide du phénomène ? Quels sont les progrès réalisés dans le processus de révision de la stratégie de l’ONU adoptée en 1998 ? Comment « l’année de réflexion » décidée lors de la CND 2008 a-t-elle été mise à profit ?
Ces pages tentent de creuser ces questions sans apporter une réponse fournie et détaillée.
SOMMAIRE :
1 – Modalités pratiques
2 – Implication de la société civile
3 – La Déclaration politique et ses annexes
4 – Discours ministériel en pleinière
1 – MODALITES PRATIQUES
La Commission de 2009 sur les stupéfiants se tiendra à Vienne du 11 au 20 Mars, avec un segment de haut niveau (ministériel) couvrant les deux premiers jours.
Ce segment de haut niveau est l’aboutissement de deux années de processus pour la révision des objectifs et des plans d’action adoptés lors de la Session spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies (UNGASS) en 1998, afin de délivrer une déclaration politique définissant un cadre de coopération internationale pour la prochaine phase du système de contrôle mondial des drogues (stupéfiants).
Deux sessions sont organisées en parallèle au segment de haut niveau. La séance plénière sera une succession de déclarations ministérielles de pays disposant chacun de 5 minutes. Les délégués de la société civile auprès de l’ECOSOC sont autorisés à assister à la séance plénière, mais leur unique intervention durera également 5 minutes pour rapporter les conclusions «Au-delà de 2008».
Fonctionnant en parallèle de la plénière quatre tables rondes sont prévues « afin de discuter des aspects particuliers de la stratégie mondiale de la politique des drogues ».
Il y aura un large éventail de réunions, d’évènements et de manifestations en marge des réunions officielles. Celles de l’IDPC, de l’OSI, du TNI, de l’IHRA, et de l’ENCOD (conférence de presse le 13 mars à 11h),…
Programme détaillé sur ce lien : http://vngoc.org/details.php?id_cat=15&id_cnt=68
Pour participer aux réunions au CIV à Vienne, contactez une ONG au statut ECOSOC. Une liste complète est disponible en envoyant un courriel à Judith Hoffmann : jh@internationaldrugpolicy.net
2 – PARTICIPATION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE
Les modalités d’une participation constructive et dynamique de la société civile à la CND et notamment lors du segment ministériel sont décevantes. Le président du Comité des ONG à Vienne, David Turner, a écrit fin 2008 au président de la CND, Selma Ashipala pour lui adresser une liste de recommandations pour faciliter l’implication de la société civile. Cette lettre est restée sans réponse officielle.
Cette lettre demandait :
• Qu’une audition de la société civile soit fixée lors d’une des matinées du segment de haut niveau, afin de permettre aux représentants des ONG de présenter leurs points de vue aux délégations gouvernementales. Aucune disposition n’ayant été prise, les contributions de la société civile devront se faire lors des évènements qu’ils organisent en marge.
• Qu’au moins 3 représentants de la société civile aient la possibilité de prendre la parole en séance plénière lors du segment de haut niveau. Cette demande a été refusée – seul le président d’ «au-delà 2008» et la Reine de Suède sont autorisés à intervenir pendant la session plénière au nom de la société civile.
• Qu’un espace soit mis à la disposition des ONG pour exposer leurs projets et leurs actions. Aucune réponse n’a été donnée, rien de significatif n’a pu être organisé.
• Que le nombre maximum de sièges attribués aux ONG dans les panels d’experts soit mis en débat. On peut comprendre que cela pose problème, mais l’attribution de seulement deux sièges reste dérisoire.
• Que l’espace « réservé » aux ONG soit fixé dans le bâtiment des conférences, pour que les délégués de la société civile se rencontrent, et accèdent aux moyens matériels : ordinateurs, photocopies, communication. Sans réponse, il faudra se débrouiller par soi-même.
3 – LA DÉCLARATION POLITIQUE ET SES ANNEXES
La Déclaration politique finale et ses annexes, négociées depuis 6 mois, se concluera sur le «plus petit dénominateur commun», sans analyse claire de ce qu’ont enseignées les 10 dernières années et les défis et les engagements pour l’avenir.
Malheureusement, bien qu’il reste une semaine de négociations dans ce cadre officiel, il ne faut pas s’illusionner. L’actuel projet de texte a fait l’objet d’intenses négociations, avec de solides interventions essentiellement basées sur trois tendances :
Les pays qui veulent défendre et renforcer les services de répression et une approche « tolérance zéro »
Les pays qui souhaitent se concentrer davantage sur la santé avec une approche fondée sur les Droits de l’Homme
Les pays dont les représentants à Vienne sont principalement intéressés à défendre leurs intérêts propres, et le respect de leur propre procédure d’application des conventions.
En regardant la liste des principales contributions disponibles, on s’aperçoit qu’elles sont faibles et parfois même dénuées de sens :
En termes d’évaluation des progrès accomplis au cours des 10 dernières années, le projet actuel de la Déclaration rappelle simplement que le problème des drogues « continue de faire peser une grave menace pour la santé, la sécurité et le bien-être de l’humanité » et que « des progrès ont été effectués dans la mise en œuvre de la déclaration politique adoptée lors de la vingtième session extraordinaire de l’UNGASS en 1998, notamment au travers d’actions positives, aux niveaux international, régional et local ». « Que des défis considérables demeurent, et de nouveaux défis surgissent. Toutefois, cette stratégie a permis de réduire durablement, ou au moins de contenir de manière efficace, la production, le trafic et la consommation de drogues illicites au niveau mondial».
Il est facile d’analyser et de constater quelles actions ont été positives ou non pour réduire les problèmes liés aux drogues. Le projet de la déclaration que les Etats membres adopteront est lié au principe de «promouvoir activement une société sans abus de drogues», expression rappellant le désastreux slogan de 1998 – “Un monde libéré de la drogue, nous pouvons y arriver ».
La CND a-t-elle appris quelquechose pendant ces 10 dernières années et ira-t-elle jusqu’à promouvoir activement ce que tous s’accordent à trouver impossible à réaliser ?
Les références à la promotion et au respect des Droits de l’Homme, obligation pour les Etats membres, sont beaucoup plus fortes. Le préambule du projet contient un paragraphe sans équivoque sur la primauté des obligations énoncées par la Charte des Nations Unies et par la Déclaration des droits et libertés fondamentaux. Effort louable, mais cette référence serait-elle mentionnée, si la question n’avait pas été fortement soulevée par les ONG lors de la CND en 2008 ?
Les références à l’importance de la prévention du VIH-sida sont toujours en litige, et l’ensemble de la question de la réduction des risques demeure toujours dans l’impasse. Les paragraphes de la déclaration et de l’annexe se rapportant à cette question sont encore en suspens. Il est choquant de constater que, malgré son acceptation claire par l’ONU et les organismes affiliés, malgré les lettres adressées aux délégués de la CND par les responsables de l’ONUSIDA, du Global Fund et de deux rapporteurs des Nations unies pour les Droits de l’Homme, il semble que la Commission des stupéfiants ne sera pas en mesure de convenir d’une déclaration claire sur l’importance de la prévention du VIH chez les usagers de drogues, et qu’elle ne semble pas convaincue que les approches de réduction des risques soient la réponse la plus efficace.
Le projet contient un ensemble d’objectifs pour la prochaine phase du contrôle international des stupéfiants. Toutefois, ces objectifs comportent certaines faiblesses : Ils proposent encore une fois « d’éliminer ou réduire significativement à la fois la culture, l’offre et la demande », alors que «minimiser» serait un objectif plus réaliste. Ces objectifs ne définissent pas clairement la réduction des conséquences sanitaires et sociales liées au marché des drogues illicites et ni de leur usage, et pas davantage la prise en compte de l’usage médicalisé.
Sur ce dernier point, l’actuel projet de Déclaration est particulièrement décevant. Les États membres ont reçu l’assurance de l’OICS, de l’OMS et des ONG que ne pas fournir des médicaments pour soulager la douleur et traiter la toxicomanie est globalement scandaleux. Ce qui est dit sur cette question dans la déclaration politique est une réaffirmation du rôle de l’OICS, et un appel aux États membres à travailler ensemble afin d’améliorer une disponibilité, tout en évitant les détournements.
Il n’y a qu’une petite référence à la nécessité d’instaurer un meilleur équilibre entre la réduction de l’offre, de la demande, et l’investissement des Etats membres au niveau national et international.
Il n’y a absolument aucune reconnaissance de la nécessité de mettre davantage l’accent sur les conséquences du marché et de l’usage des stupéfiants .
La tonalité générale semble donc être une adhésion inconditionnelle aux structures et actions existantes.
Ce texte affirme aussi la nécessité d’impliquer la société civile et les «populations concernées» dans le développement de la politique en matière de drogues. Mais aucune mention spécifique ne relève l’initiative « au-delà de 2008 », ni ses conclusions. Ce qui démontre le peu d’intérêt et d’implication de la Commission sur les stupéfiants et du secrétariat en charge du processus.
4 – INTERVENTIONS MINISTERIELLES AU SEGMENT DE HAUT NIVEAU
Une fois les négociations sur la déclaration politique terminées, la principale occasion pour un Etat membre d’avoir un impact lors cette réunion de haut niveau sera sa présentation en 5 minutes pendant la plénière. Chaque gouvernement en profitera pour articuler plus clairement sa position stratégique en matière de drogues et du système international de contrôle, sans que cette intervention soit soumise à discussion. Bien sûr, de nombreux gouvernements utilisent cette présentation pour simplement lister leurs réalisations sensées contrecarrer le marché des drogues illicites, ou faire des déclarations insipides pour une meilleure coopération internationale. Mais ces présentations peuvent aussi faire l’objet d’une évaluation contradictoire et réaliste des phénomènes actuels, développant une approche humaine et sensible au service de politiques et de programmes efficaces.
Ces interventions se dérouleront pendant processus de la rédaction finale.
Pour ceux et celles qui disposent d’un contact direct avec le Ministre de la Santé, celui de l’Intérieur, celui de la Justice ou celui du Président de la délégation Inter-ministérielle, on peut encore les encourager à intervenir pour infléchir le discours officiel, avec par exemple :
La reconnaissance des progrès limités pour la réduire l’offre et la demande au cours des 10 dernières années,
La nécessité de renforcer la réduction des risques,
L’accès médicalisé et aux traitements de la douleur, …etc.
Aux autres, sans vous illusionner sur les résultats de la CND 2009, vous pouvez agir avec détermination pour que ça change bientôt…
MARS 2009