Source: RTBF
13 janvier 2014
Jean-Michel et David consomment du cannabis depuis une trentaine d’années. Il ne veulent plus se fournir dans la rue. Ils ont décidé de créer une association sans but de lucre pour produire du cannabis et le distribuer à ses membres. Et pour se distinguer des organisations criminelles, ils jouent cartes sur table avec les autorités. Ou presque…
“Nous avons écrit au bourgmestre de Namur pour présenter notre association, expliquent les deux fondateurs de l’asbl. Nous attendons sa réponse”. Il y a quelques semaines sont parus au moniteur les statuts de leur asbl, dont l’objet social laisse planer peu de doute. “L’association poursuivra les activités suivantes : la culture et la récolte de plants de cannabis appartenant aux membres en vue de leur distribution à ceux-ci et pour leur consommation personnelle exclusivement” (…).
Le modèle vient de Flandre, où l’association Trekt uw Plant tente depuis plusieurs années de faire accepter aux autorités le principe d’une production contrôlée de cannabis, par des consommateurs qui ont “les doigts verts”. Il n’est pas très difficile de se procurer tout le matériel nécessaire, quasi en vente libre : les semences, une lampe, un peu d’engrais. Il n’est pas très compliqué non plus de faire pousser un plant chez soi, discrètement, dans son grenier, sa cave ou son jardin. “Une étude criminologique de l’université de Gand en 2007 évaluait déjà à plus de 15.000, rien qu’en Flandre, le nombre de personnes qui se sont ainsi lancées dans une production récréative ou artisanale du cannabis, explique Joep Oomen, président de Trekt uw Plant. Beaucoup produisent ainsi pour leur consommation personnelle et éventuellement pour quelques amis. C’est ce type de producteurs que nous retrouvons dans notre association, qui compte aujourd’hui plus de 350 membres.”
Des lieux tenus secrets
Actuellement, l’association Trekt uw Plant possède une douzaine de petites plantations, de 5 à 50 plants maximum, et produit environ 20 kg de cannabis chaque année. A chaque récolte, tous les deux mois, l’association organise une rencontre au cours de laquelle les membres viennent chercher leur herbe, en dédommageant les cultivateurs pour les frais de production. En fonction de la consommation personnelle de chacun, cela correspond environ à la production d’un plant de cannabis. Les lieux de plantation et d’échange sont tenus secrets. “Nous avons plus peur des voleurs et des trafiquants que des policiers”, sourit Joep Oomen. Ce qui ne veut pas dire que la justice ferme les yeux. Les fondateurs de Trekt uw plant ont déjà été poursuivis au pénal à deux reprises pour différents chefs d’inculpation. “Nous avons été condamnés deux fois en première instance mais nous avons été acquittés deux fois en appel”, constate Joep Oomen.
“Le cannabis de rue est dégueulasse”
A Namur comme à Anvers, les fondateurs d’un social cannabis club militent pour la dépénalisation du cannabis. “Quand vous achetez du cannabis dans la rue, explique Jean-Michel, les dealers vous proposent souvent d’autres drogues, comme de la cocaïne, des amphétamines ou des extazys. Leur marge bénéficiaire est plus grande sur ces drogues dures. Organiser une production contrôlée par l’Etat permettrait de couper l’herbe sous le pied des mafias et des trafiquants.”
Et David d’enchaîner : “les drogues de rue sont dégueulasses, coupées avec n’importe quoi pour augmenter le poids : des produits chimiques, des micro billes de verre, etc.” Et les deux consommateurs-militants de plaider pour une légalisation de la production de cannabis en Belgique, sous contrôle des autorités. “Les cannabis clubs comme le nôtre pourraient assurer cette production en toute transparence”.
En attendant une hypothétique légalisation, les cannabis social club revendiquent une interprétation extensive de la politique de tolérance actuellement observée en Belgique. Le cannabis n’est pas dépénalisé mais les parquets accordent une “priorité minimale” aux poursuites de consommateurs pris en possession d’une petite quantité de cannabis, équivalant à une consommation personnelle. Dans les faits, cette tolérance s’étend de plus en plus à la possession à domicile d’un plant de cannabis permettant au consommateur de produire lui même l’herbe qu’il consomme. Par contre la vente, même de petites quantités, continue à être systématiquement poursuivie.
La justice ne ferme pas les yeux
“Dans un cannabis club, expliquent Jean-Michel et David, les cultivateurs produisent chacun plus que ce qu’ils consomment personnellement, mais pas plus que ce qui est nécessaire à la consommation de l’ensemble des membres. Et ils ne peuvent pas en tirer un profit, juste un remboursement de leurs frais.” Cela dit, à Anvers comme à Namur, les administrateurs du social cannabis club reconnaissent qu’ils doivent parfois faire le ménage au sein de leur communauté de cultivateurs. “Il peut arriver que des producteurs rentrent dans notre association dans le but de faire du profit avec la drogue, reconnaît Joep Oomen. Nous devons être attentifs.”
Mais les différents parquets du pays ne l’entendent manifestement pas de cette oreille, comme le prouve les poursuites à répétition dont Trekt uw Plant est la cible à Anvers. A Hasselt, le Mambo cannabis club qui avait joué carte sur table avec la police, en dévoilant même les lieux de plantation ont vu récemment toute sa récolte et son matériel saisi par la police. Quant au Parquet de Namur, le procureur du Roi dit ne pas être encore au courant de l’activité du social cannabis club sur le territoire de l’arrondissement. “Mais dans l’état actuel de la législation, estime Philippe Dulieu, je ne vois pas comment ne pas poursuivre ce genre d’activités.”
Pour tenter d’éviter la déconvenue du Mambo club d’Hasselt, Jean-Michel et David ont décidé de brouiller un peu les pistes : “nous avons cinq plantations différentes, affirment-ils, dans cinq arrondissements judiciaires différents”.
François Louis