L’histoire de la Belgique est inhabituelle dans le domaine de la politique en matière de drogue. Pendant des décennies après la prohibition, toutes les drogues ont été traitées avec la même sévérité. Au tournant du 21e siècle, les lois sur le cannabis ont été assouplies et la possession de quantités à usage personnel est désormais tolérée. Toutefois, le changement de gouvernement intervenu l’an dernier pourrait bien marquer la fin brutale de cette approche tolérante.
Par: Seshata*
La politique en matière de drogue en Belgique a une histoire relativement inhabituelle et récente. Jusqu’à 2003, aucune distinction juridique n’était faite entre les différentes classes de substances réglementées (comparable au système d’« annexe » employé dans de nombreux autres pays), et le traitement réservé aux délits liés au cannabis était similaire à celui réservé aux délits liés à l’héroïne ou la cocaïne.
En 2003, une nouvelle directive établissait une distinction entre le cannabis et les autres drogues illégales et introduisait le concept de nuisance publique et d’usage problématique de drogues ; cette directive autorisait la dépénalisation de la possession de cannabis en petites quantités, sous réserve que les personnes incriminées soient âgées de dix-huit ans ou plus et ne soient ni des consommateurs problématiques de drogues, ni impliquées dans une quelconque nuisance publique. Habituellement, les amendes vont de 75 à 125 € pour le premier délit, de 130 à 250 € pour un second délit et de 250 à 500 € pour un troisième délit dans la même année, et ces délits sont enregistrés anonymement.
En 2005, une directive révisée a été publiée, fixant la limite légale pour les cas de possession à trois grammes ou à un plant cultivé, et réitérant les amendes imposées aux personnes en possession de quantités excessives ou en cas de nuisance publique.
Cet état de relative indulgence a persisté jusqu’à octobre 2014, lorsque le nouveau gouvernement de droite du premier ministre Charles Michel a annoncé la fin de la politique de tolérance. Toutefois, Joep Oomen, coordonnateur de la Coalition européenne pour des politiques justes et efficaces en matière de drogue (l’ENCOD), a déclaré qu’en pratique le cadre de la loi n’avait pas changé et que cette déclaration de l’an dernier fait simplement référence à la tolérance zéro pour consommation de cannabis dans les lieux publics plutôt qu’à une criminalisation pure et simple de la possession de cannabis. Il ajoute qu’« aucun pays sensé ne saurait se tourner actuellement vers la prohibition ».
Vente de cannabis
Les lois relatives à la vente de cannabis en Belgique sont fondées sur la législation originale de 1921 sur les produits stupéfiants illégaux, qui, bien qu’amendée en 1975 et en 1994, n’a que très peu évolué eu égard à la vente et au trafic de drogues illégales depuis son élaboration.
La vente de cannabis est un délit pénal sujet à une peine d’emprisonnement de 3 mois à 5 ans et à des amendes de 1 000 à 100 000 €. Les circonstances aggravantes (implication de mineurs, blessure ou mort, ou liens avec des organisations criminelles) peuvent alourdir les peines qui peuvent ainsi atteindre 5 à 20 ans d’emprisonnement et 5 000 à 500 000 € d’amende. Un amendement de mai 1998 précise que les peines d’emprisonnement peuvent être suspendues ou annulées si les drogues ne sont vendues que pour la consommation personnelle d’une personne, sous réserve de l’absence de toute circonstance aggravante.
Après la modification de la loi en 2003 pour autoriser la possession de petites quantités de cannabis, le propriétaire de coffee shop et entrepreneur néerlandais Nol van Schaik a créé un site Internet proposant la vente de cannabis en ligne aux résidents belges. S’attendant à une résistance féroce de la part des autorités, il a eu la surprise de bénéficier au lieu de cela d’une couverture médiatique plutôt favorable et de recevoir le soutien de personnalités politiques qui ont jugé que cela constituait un moyen judicieux de fournir les petites quantités autorisées par la loi belge tout en maintenant l’illégalité de la vente de cannabis à l’intérieur du pays. Toutefois, peu après le lancement de cette activité, d’autres personnalités politiques de droite l’ont pris pour cible et l’ont contraint à la fermeture de son site Internet.
Culture du cannabis
En Belgique, la culture d’un unique plant de cannabis par personne a été dépénalisée en 2003, car il a été jugé que cela entrait dans la catégorie de la possession négligeable. Actuellement, on ne pense pas que l’annonce faite l’an dernier aura un impact pour les personnes cultivant leur cannabis dans les limites prévues par la loi.
La culture de cannabis en Belgique est devenue endémique au cours des trente dernières années environ. Dans les années 1990, l’essor de l’industrie du cannabis aux Pays-Bas a entraîné un développement du marché en nombre et en taille des exploitations de culture de cannabis, non seulement aux Pays-Bas, mais également dans les régions frontalières de l’Allemagne et de la Belgique, et dont la raison d’être était de fournir du cannabis aux coffee shops néerlandais et aux distributeurs clandestins à grande échelle.
Malgré les lois relativement strictes régissant la culture de quantités plus importantes de cannabis, plusieurs cas de producteurs à grande échelle condamnés à des peines remarquablement clémentes ont été rapportés. Dans une affaire jugée en 2009, les exploitants d’une plantation censée être la plus grande jamais vue en Belgique ont été relaxés sur un vice de procédure, car il a pu être démontré que la légalité de la recherche initiale des installations était douteuse.
Cannabis à usage médical en Belgique
Depuis juillet 2001, la Belgique a autorisé l’usage de cannabis médical pour le traitement du glaucome, de la spasticité musculaire associée à la sclérose en plaques, du SIDA et de la douleur chronique, pour les personnes en possession d’une prescription médicale valide délivrée par un médecin accrédité.
Les termes de la législation de 2001 autorisent la vente de petites quantités de cannabis à usage médical en pharmacie, mais il semble qu’à ce jour aucun patient traité au cannabis médical en Belgique ne soit parvenu à se faire délivrer sa prescription par une pharmacie belge. Au contraire, les patients qui en ont besoin peuvent obtenir du cannabis auprès de l’un des cinq clubs sociaux cannabiques ouverts en Belgique, ou se rendre dans des pharmacies aux Pays-Bas pour se faire délivrer les traitements prescrits. Les patients belges ont la possibilité d’obtenir du Sativex, le spray sublingual dont la vente est autorisée produit par la société britannique GW Pharmaceuticals.
En novembre 2014, il a été annoncé que la ministre fédérale belge de la Santé, Maggie de Block, travaillait sur une proposition visant à autoriser la vente de petites quantités de cannabis à usage médical en pharmacie sur l’ensemble du territoire national. Pour l’heure, les résultats de cette initiative sont encore incertains.
Le système des clubs sociaux cannabiques est pour le moment le modèle le plus efficace pour la fourniture de petites quantités de cannabis aux personnes qui en ont besoin. Ils n’ont toutefois pas été épargnés et ont eu leur part de problèmes avec les autorités. Le Trekt Uw Plant (littéralement, « tirer votre plant ») fut le premier club social cannabique en Belgique ; peu après son ouverture, il a fait l’objet d’une descente et ses propriétaires ont été arrêtés et condamnés pour incitation à l’usage de drogue. Cependant, après avoir fait appel, les condamnations ont été annulées. Les clubs sociaux cannabiques continuent de produire du cannabis pour leurs patients sur des sites de culture dont l’implantation est tenue secrète.
Graines de chanvre et de cannabis
La Belgique possède une industrie du chanvre industriel de petite taille, mais qui revêt une importance certaine. Avant les guerres mondiales, cette industrie était bien plus vaste (et cela a été le cas pendant des siècles), mais comme dans le reste de l’Europe elle a connu un déclin postguerre. Dans les années 1960, la culture de chanvre a été relancée, et aujourd’hui la Belgique est un exportateur mondial de chanvre de premier plan. Les variétés de chanvre doivent être approuvées par l’UE et doivent contenir moins de 0,2 % de THC, conformément aux directives européennes.
La vente de graines de cannabis est une zone d’incertitude ; elle n’est pas spécifiquement interdite par la loi, mais les distributeurs ont eu des problèmes avec les autorités. Au milieu des années 2000, de nombreuses boutiques de culture ont été fermées en Belgique et les producteurs ont été contraints de se rendre aux Pays-Bas pour y trouver l’équipement dont ils avaient besoin.
Après la fermeture de son site Internet proposant la vente en ligne de cannabis aux résidents belges, Nol van Schaik a annoncé son intention d’ouvrir des boutiques en Belgique proposant (à défaut de vendre du cannabis elles-mêmes) de l’équipement, des graines et toutes les informations concernant les divers aspects de la culture et de la consommation de cannabis, y compris des cours pour apprendre à cuisiner à base de cannabis. Malheureusement, la droite politique, en particulier le membre du Vlaams Blok (Bloc flamand) Filip de Winter, s’est opposée à cette initiative et s’est donnée pour mission de faire fermer toutes les boutiques. Finalement, van Schaik a été contraint de fuir la Belgique par crainte que les autorités ne l’extradent vers la France pour y répondre d’une ancienne accusation pour trafic de haschich qui pèse toujours sur lui.
Bien que les boutiques de vente d’équipement soient encore rares en Belgique, les décisions récentes prises par les autorités néerlandaises de fermer toutes les boutiques d’équipement de culture aux Pays-Bas ont conduit à un renversement de la tendance : au lieu que les Belges se fournissent auprès des Néerlandais, ce sont désormais les Néerlandais qui se rendent en Belgique pour mettre la main sur tout ce qu’ils peuvent trouver.
Les partis politiques belges et le cannabis
Vlaams Belang
Le Bloc flamand est sans conteste le parti antidrogue le plus virulent de tout le paysage politique belge. Son membre Filip de Winter a été le bras armé de la fermeture des implantations de Nol van Schaik et n’a cessé de le qualifier, ainsi que d’autres activistes procannabis, de « vendeurs de poison ». Il a également déclaré que « M. Van Schaik, celui qui se dit le fondateur idéaliste du Hemp Museum, n’a qu’à bien se
tenir ».
Mouvement Réformateur
Le Mouvement Réformateur est le parti de l’actuel premier ministre Charles Michel. Le parti lui-même est généralement un parti antidrogue, bien que certains de ses membres aient dans le passé exprimé leur foi dans le système fondé sur la tolérance. Charles Michel lui-même figure parmi les plus ardents opposants antidrogue du parti.
Nieuwe-Vlaamse Alliantie
Autre parti de droite, la Nouvelle Alliance flamande compte parmi ses membres Bart de Wever, le maire d’Anvers qui a été le premier à appliquer la politique de la tolérance zéro qui a été ensuite généralisée à tout le pays.
Ecolo J
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un parti politique au sens strict, Ecolo J est étroitement lié au parti écologique belge, Ecolo. Après l’annonce par Charles Michel des plans visant à mettre un terme à la politique de tolérance, Ecolo J a immédiatement réagi en multipliant les appels à la légalisation de toutes les drogues pour les quantités correspondant à un usage personnel et à établir la vente régulée de drogues afin de juguler le marché noir.
*Seshata est une écrivain cannabique freelance habitant à Amsterdam, aux Pays Bas.