Source: Huffington Post
04.02.2013
Par Stanislas Kraland
C’est la stratégie d’un véritable coup de force que le Cannabis Social Club Français révèle au HuffPost. Ils en avaient fait l’annonce, ils en ont pris la décision officielle dimanche 3 février: pour mettre un terme à la prohibition du cannabis, la Fédération des Cannabis Social Clubs Français (FCSCF) déposera son statut d’association à la préfecture d’Indre-et-Loire, le 4 mars prochain à Tours. Si d’ici le 25 mars le gouvernement ne réagit pas, l’Etat devra alors faire face à une vague de déclarations officielles de cannabis social clubs en préfecture sur tout le territoire.
“425 clubs se tiennent prêts” assure Dominique Broc, le porte-parole du Cannabis Social Club Français. Cette vague de déclarations du 25 mars pourrait même être suivie d’une autre, à une date qui n’a pas encore été arrêtée. Au total, près de 700 cannabis social clubs (CSC) pourraient donc être amenés à se déclarer. “On demande au gouvernement de trancher sur le cas des cannabis social clubs,” explique Dominique Broc. Jusqu’ici les autorités fermaient l’oeil, désormais elles devront se prononcer.
Car les cannabis clubs existent déjà. Répartis dans toute la France, on en dénombrerait plusieurs centaines. Sorte d’association officieuse à but non-lucratif, ils rassemblent plusieurs milliers de consommateurs de cannabis désireux de mutualiser leurs moyens afin de produire leur propre consommation. “La production de cannabis à des fins personnelles” telle sera donc la finalité déclarée et officielle des associations qui se déclareront en préfecture. Une disposition qui contrevient à l’article 3 de la loi de 1901 qui stipule que “toute association fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois (…) est nulle et de nul effet.”
Lutter contre le trafic
Alors de quels effets seront suivies ces déclarations? Nul ne peut le dire aujourd’hui, mais depuis l’Appel du 18 joint, qui a vu le premier Cannabis social club français sortir du bois, Dominique Broc croit sentir le vent tourner. En pourparlers depuis plusieurs semaines avec la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), il confie au HuffPost qu’il a affaire à un “interlocuteur intéressé.” “On suscite de l’intérêt parce que notre modèle réglerait le problème,” affirme-t-il.
Le raisonnement des CSC est simple: “Plus le nombre de consommateurs assurant leur propre production sera grand, moins il y aura de trafic” explique Dominique Broc. Cette logique à rebours de la politique répressive est d’ores-et-déjà à l’oeuvre en Espagne ou au Portugal. Arrivée en France, elle fait aussi des émules.
Un article dans Le Monde, une dépêche AFP reprise dans Le Point, mais aussi dans L’Express, depuis que les CSC ont fait connaître leur désir de rentrer dans la légalité en décembre 2012, les médias les courtisent, et parmi eux de nombreux médias plutôt conservateurs. Un intérêt qui ne surprend pourtant pas leur porte-parole. “On s’attaque à enjeu sécuritaire légitime donc on est entendu” analyse-t-il.
Forcer la décision du gouvernement
Si l’interlocuteur du CSCF s’appelle la DCRI, c’était bien sur le gouvernement que Dominique Broc comptait. “Nous avons demandé une dérogation pour les CSC à titre expérimental et avons annoncé une date butoir, le 2 février, à laquelle nous prendrions une décision.” Point de retour du gouvernement ce jour, c’est donc dans la nuit du 2 au 3 février que les 22 membres du bureau de la future Fédération des cannabis social clubs français se sont mis d’accord sur ce plan de bataille.
“On est tous solidaires,” affirme leur porte-parole, “s’il y en a un qui trinque, le logique veut qu’on trinque tous,” continue-t-il. Juridiquement, la méthode de la déclaration en masse est un pari risqué, mais le CSCF croit en la force des 5.700 individus prêts à se déclarer officiellement en tant que membre d’un CSC. “Soit ils fermeront les yeux et ce serait alors un accord tacite de la part du gouvernement, soit ils devront s’attaquer à nous, et cela fera beaucoup de monde dont il faudra s’occuper,” explique-t-il.
Néanmoins, les CSC sont confiants. Une décision cadre de l’Union européenne sur le trafic de drogue, qui date du mois d’octobre 2004, leur ouvre en effet une porte de sortie. Si celle-ci affirme que “les États membres garantissent que la culture de plantes de cannabis, effectuée illégalement, est un délit punissable”, son article 2.2 indique que “ne sont pas inclus dans le champ d’application de la présente décision-cadre lorsque leurs auteurs s’y livrent exclusivement à des fins de consommation personnelle telle que définie par la législation nationale.” En d’autres termes, pour l’Europe, les cannabis social clubs sont légaux et n’entrent pas dans le cadre du trafic de drogues.
Réguler plutôt que dépénaliser
Les CSC pourraient-ils ouvrir la voie à une forme de légalisation? Dominique Broc ne l’entend pas de cette manière. “La légalisation, on n’a pas encore le recul nécessaire pour en parler,” avertit-il. Pas question non plus de prononcer le mot “dépénalisation”, officiellement donc le CSCF parle de “régulation de la consommation.”
“Notre ennemi ce ne sont pas les autorités, c’est le crime organisé,” martelle Dominique Broc. Et il en veut pour preuve les menaces dont les CSC sont l’objet, y compris “des menaces de mort”. “C’est bien la preuve qu’on gêne,” nous dit-il. Alors par mesure de précaution, ce jardinier de 44 ans ne reçoit plus sa fille chez lui pour ne pas qu’elle soit là “le jour où ça arrivera.” “Ça”, c’est évidemment le pire, “je m’attends à recevoir de la visite,” confie Dominique Broc qui, même s’il dit ne pas trop y croire, reconnaît qu’il est “exposé.”
Militantisme oblige, le porte-parole du CSCF a la tête ailleurs, et notamment dans les milliers de courriers qu’il reçoit. “Je suis complètement dépassé,” s’amuse-t-il, “rien que pendant les deux derniers jours, j’ai reçu plusieurs centaines de demandes et j’ai 10.000 emails en souffrance dans ma boîte.” Ces emails, ce sont principalement des demandes de particuliers qui souhaitent créer leur club et qui seront examinées. D’autres écrivent pour savoir comment adhérer un club. Ceux-là, le CSCF en fait peu de cas et privilégie avant tout le volontarisme des membres.
“Béquille sociale”
Alors qui sont ces cannabis clubbers qui dérangent les trafiquants et provoquent l’Etat? “Chez nous, il y a de tout”, indique Dominique Broc. “Des avocats, des chauffeurs de taxi, des éducateurs, des fumeurs récréatifs, d’autres qui font un usage thérapeutique.” Faire un usage thérapeutique du cannabis pour ne plus souffrir, c’est ce que réclame Sandrine, l’une des membres du club de Tours. Atteinte d’une maladie orpheline rare, c’est son médecin qui l’a orientée vers le cannabis.
Dominique Broc parle quant à lui du cannabis comme d’une “béquille sociale”, de quelque chose qui l’aide à vivre. Récréatif ou thérapeutique, nombreux sont ceux qui, comme lui, voudraient pouvoir consommer librement, hors de tout trafic et savoir ce qu’ils fument. Alors faudra-t-il autoriser et contrôler la création de cannabis social clubs? Au gouvernement d’en décider. Mais pour leur porte-parole, seule une chose est sûre: “la prohibition ne profite à personne sauf au crime organisé.”