Source: Le Monde
16 Décembre 2010
Anne Souyris, co-responsable du projet 2012 d’Europe Ecologie – Les
Verts, et Marine Tondelier, porte-parole des Jeunes vert
Les drogues restent un sujet passionnel en France, ce qui rend les
partis comme les élus particulièrement frileux quant à la réforme de nos
politiques en la matière, et ce, malgré leur flagrante contre-productivité.
Notre politique française – la plus répressive d’Europe –, montre
clairement ses limites. La plupart des experts reconnaissent que comme
la prohibition l’alcool aux Etats-Unis dans les années 1920, elle
nourrit les trafics en tout genre, précarise les usagers les plus
vulnérables et engendre des violences, que la simple présence de
policiers sur le terrain ne permet plus d’endiguer. Dernier symptôme
d’ineffcacité, et non le moindre, la France détient aujourd’hui un des
taux records de jeunes utilisateurs de stupéfants en Europe.
En effet, malgré l’arsenal répressif mis en œuvre, les statistiques de
l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies révèlent que
même interdite, la drogue est facile d’accès et les drogues dites
“dures” (cocaïne, héroïne, LSD, etc.) sont plus populaires parmi les
jeunes qu’auparavant. Enfin, la répression entraîne une consommation de
drogue forcément clandestine, qui précarise les usagers : la diminution
des moyens mis en œuvre pour les accompagner et les aider au quotidien
ont fait une fois de plus repartir leur mortalité à la hausse.
Depuis 2003, la politique gouvernementale a accordé la priorité à la
criminalisation de l’usage des drogues, qui mobilise des milliers de
policiers et de gendarmes, gèle des moyens très importants, coûte un
temps précieux, et encombre souvent inutilement les douanes, les
tribunaux et les prisons. Une politique de la drogue pacifiée
permettrait de libérer de précieux moyens de sécurité, qui pourraient
être ré-affectés à d’autres types de missions. Cela est d’autant plus
nécessaire que la répression se trompe de cible : on estime que les
interpellations pour stupéfants concernent dans 90 % des cas les usagers
de cannabis, alors que les interpellations pour trafic se montent à
environ 9 %.
Quant aux condamnations, elles sanctionnent essentiellement l’usage et
la détention-acquisition, délits associés à l’usage. Il s’agit le plus
souvent d’amendes – mais contrairement à ce qui se dit, il y a aussi des
incarcérations pour usage, soit en 2008 3 111 peines ferme pour usage
illicite de stupéfant et 5 456 peines ferme pour détention-acquisition
de stupéfants soit au total 8 567, les incarcérations pour usage étant
plus nombreuses les incarcérations pour trafic.
Depuis plus de quarante ans, les gouvernements de droite comme de gauche
ne se sont jamais détournés de la surenchère répressive comme le
montrent les chiffres publiés la semaine dernière par l’OFDT : depuis
1970, la répression de l’usage a augmenté chaque année, parallèlement à
l’augmentation régulière des moyens des services répressifs. Or des
solutions alternatives existent ! En témoignent notamment les derniers
rapports d’institutions aussi réputées pour leur sérieux que
l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation des Nations unies ou
encore l’Institut national de la santé et de la recherche médicale.
Une expertise confrontant les données internationales a en effet
démontré que la répression de l’usage et détention était inefficace pour
limiter les consommations et encore moins pour le trafic. Les chiffres
récemment publiés sont clairs : la plupart de nos voisins en Europe ont
déjà dépénalisé l’usage, soit de toutes les drogues (Espagne, Italie,
Pays Bas) soit seulement du cannabis (Allemagne, Belgique, Autriche) au
cours des années 1990, sans constater d’augmentation de la consommation.
La même démonstration a été faite au Etats-Unis, avec les douze Etats
qui ont dépénalisé l’usage et la détention du cannabis pour consommation
personnelle.
CHANGEMENT RADICAL
Ce qui est efficace en matière de protection de la santé, c’est une
information fondée sur la réalité des risques, information qui réduit
effectivement les risques et s’accompagne aussi souvent d’une
stabilisation des consommations. Le développement des salles de
consommation s’inscrit dans la logique ces politiques de santé publique.
Le consensus des experts est international, et certains pays – dont la
Suisse, les Pays-Bas, le Portugal l’Allemagne, la Norvège et l’Espagne
–, ont déjà réagi en autorisant l’ouverture de salles de consommations,
en dépénalisant la consommation de cannabis voire en mettant en œuvre
une distribution contrôlée d’héroïne dans certains cas très spécifques
et très lourds de dépendance.
Les Jeunes Verts et Europe Ecologie – Les Verts insistent aujourd’hui
pour que la France adopte à son tour des politiques de santé et de
solidarité publiques qui soient basées non sur la peur et l’épouvantail
sécuritaire mais sur l’humanisme, la lucidité et la responsabilité. Une
politique des drogues efficace ne pourra faire l’économie à terme d’un
changement radical d’orientation. Et nous avons le courage de dire que
seule une légalisation contrôlée à tous les niveaux – autant en termes
fscal, sanitaire, qu’en terme de prévention et de sécurité pour tous –,
est nécessaire, voire urgente. Cela induirait de changer les traités
internationaux ? Alors engageons la réfexion pour ce changement ! Mais
agissons dès aujourd’hui, localement, et appliquons des mesures capables
de sauver des vies, en commençant par l’installation de salles de
consommation à moindres risques !
Plus généralement, nous devons nous engager sans attendre dans un
changement des pratiques, pratiques de santé publique d’une part,
pratiques répressives d’autre part. Dans un cas comme dans l’autre, il
s’agit de se donner des priorités : la protection de la santé exige le
développement de politiques de santé qui intègrent la réduction des
risques ; la protection de la sécurité impliquerait que la définition de
priorités, la lutte contre la violence, le blanchiment et la corruption.
Le développement de mafias internationales représente une réelle menace
pour la démocratie : les services de police et justice doivent s’y
consacrer au lieu de s’épuiser à lutter contre l’usage de la drogue. Ce
détournement de moyen est inutile et contre-productif : plus les usagers
sont interpellés, moins les trafquants le sont !
Nous espérons qu’Europe Ecologie – Les Verts, parti actuellement très
seul à réféchir sans démagogie sur ce terrain très controversé, ne le
restera pas longtemps : examiner les solutions que représenteraient la
dépénalisation de toutes les drogues, la production locale en circuits
courts de cannabis, la distribution médicalisée de certaines drogues
dans des cas bien précis, et le recentrage de la répression sur le
démantèlement des mafias… est aujourd’hui de l’ordre de l’urgence et de
la responsabilité collective.
Aujourd’hui, nous fêtons les quarante ans d’un système législatif à bout
de souffe : il est temps d’en fnir, non ? De nombreuses pistes existent,
et nous invitons nos responsables politiques à les explorer, plutôt que
de s’obstiner dans l’impasse dans laquelle les politiques des drogues
françaises se sont engagées.