Source: TVNOVA.FR
25.02.2011
Par Brice de La Mettrie, Florent Hubert , Vanina Hallab
Soutenue par des acteurs de premier plan, la mise en place en France à titre expérimental de salles de consommation supervisée, où les usagers de drogue peuvent consommer sous contrôle médical, est battue en brèche par le gouvernement. Cette note montre qu’un tel dispositif s’inscrit pourtant dans la droite ligne de la politique de réduction des risques qui a porté ses fruits en France depuis les années 1980. Il offre une réponse efficace aux problématiques de santé et de sécurité publiques liées à la consommation de drogue, comme l’attestent les expériences menées dans d’autres pays. Malgré les arguments scientifiques en faveur d’une telle démarche pragmatique de réduction des dommages, le gouvernement se cramponne à la chimère d’une “société sans drogue”.
SYNTHÈSE
Existera-t-il quelque part en France en 2012 un processus de mise en place de salles de consommation supervisée liée à certains usages de drogues ? Les futures échéances électorales, et le raidissement sécuritaire qu’elles engendrent traditionnellement à droite, vont-elles freiner l’expérimentation de dispositifs innovants au service d’une meilleure action de santé publique au bénéfice des usagers de drogues les plus vulnérables ?
On peut le craindre, tant le retard français en la matière est manifeste. Les initiatives locales, aussi bien associatives que portées par des collectivités locales, peinent plus que jamais à obtenir le soutien du gouvernement. De nombreuses voix appellent à une évolution prudente et encadrée des pratiques. Le secrétaire général des Nations Unies, l’INSERM, qui a récemment rendu publique une expertise collective pourtant commandée par le ministère de la Santé, le collectif d’associations de Réduction des Risques, les associations « Elus Santé Publique et Territoire » et « Elus locaux contre le Sida », des collectivités locales de tout bord politique, notamment Paris, Marseille et le Havre multiplient les appels à l’expérimentation. Une mission d’information parlementaire sur les toxicomanies a été mise en place et traite notamment des salles de consommation.
Malgré les exemples étrangers et cette quasi-unanimité des acteurs, le gouvernement, par la voix de Monsieur Fillon lui-même, a encore il y a quelques semaines fait connaître son opposition à toute implantation de salles de consommation supervisée, signe d’un laxisme à ses yeux incompatible avec la politique répressive mise en œuvre contre toute forme d’addictions.
Pourtant, l’examen du concept, ainsi que l’analyse des expériences étrangères, permettent de sortir des caricatures dans lesquelles ses opposants souhaitent l’enfermer. Une salle de consommation supervisée est un lieu où les usagers de drogue peuvent consommer des produits psycho-actifs illicites, qu’ils amènent eux-mêmes, sous supervision médicale. Ce dispositif est envisagé comme une réponse aux problématiques concrètes et identifiées sur un territoire spécifique, notamment les scènes ouvertes sur l’espace public
Deux objectifs prioritaires animent donc ces projets :
Un objectif de santé publique : faire en sorte que les usagers aillent mieux, proposer une prise en charge sanitaire (amélioration de la santé des usagers, réduction des overdoses, lutte contre les infections, poursuite de la réduction des contaminations VIH, VHC, prise en charge des troubles psychiatriques), conduire vers le soin et le sevrage (substitution), et permettre la réinscription des usagers dans des dispositifs sociaux ;
Un objectif de tranquillité publique, de sécurité et de cohésion : réduire les scènes ouvertes de drogues, les nuisances, les intrusions dans les halls et les caves, les seringues abandonnées ainsi que la délinquance pouvant être liée à l’usage de drogues, pacifier l’espace public, réduire les représentations négatives envers les usagers et apaiser les relations entre habitants et usagers.
Face à la posture morale et idéologique du gouvernement, dernier à croire au mythe d’une société sans drogue, il est grand temps que s’ouvre en France un débat dépassionné qui rendra possible une politique pragmatique et équilibrée en la matière. Outil d’une politique globale de réduction des risques, les salles de consommation supervisée répondent à une obligation de soin et proposent une solution innovante à des problématiques locales et ciblées. La posture gouvernementale actuelle relève donc d’une triple faute : d’abord une mauvaise lecture du débat et des connaissances actuelles, ensuite une idée fausse sur ce que souhaite la population, enfin, sur un plan éthique, un immobilisme coupable qui s’oppose à « l’obligation de non-indifférence » et de sollicitude envers des personnes humaines dont la santé, voire la vie, sont menacées.
En France, la mise en place de salles de consommation supervisée n’est envisagée qu’à titre expérimental, dans le cadre d’un processus très encadré, d’une évaluation stricte et au titre d’une politique globale d’accès aux soins, d’insertion sociale, de réduction des risques et de « réduction des dommages » liés à la consommation. En matière de drogues, il est établi que des bonnes pratiques donnent de bons résultats, comme cela a pu être évalué concernant le sida. Les mesures de réduction des risques liés aux usages de drogues ont été initiées par des gouvernements de droite comme de gauche depuis plus de 30 ans en Europe, et plus récemment en France, permettant des résultats convaincants. Même si l’objectif essentiel d’une politique publique est la diminution de la consommation de drogues, elle doit aussi tenir compte de la réalité, et pour les consommateurs qui ne peuvent ou ne veulent cesser toute consommation, veiller à ce que celle-ci produise le moins de dommages possibles, pour les usagers eux-mêmes et pour autrui. La crispation gouvernementale n’en apparaît dès lors que plus décalée avec la réalité, les arguments scientifiques et les acteurs, professionnels et élus locaux.
NOTE
L’étude « Réduction des risques chez les usagers de drogues » de l’INSERM, du 30 juin dernier, a relancé le débat en France sur les salles de consommation supervisée en soulignant l’intérêt de leur expérimentation en raison des bénéfices positifs en termes de santé publique. Ce débat est récurrent en Europe depuis l’adoption en 2004 par le Parlement européen du Rapport dit Catania, qui fut accueilli en France par une fin de non-recevoir du gouvernement. En matière de drogue, le « retard » français est une réalité, voire un choix.
Les résultats de l’expertise collective de l’INSERM, basés sur une analyse scientifique et l’audition d’experts, ont dans un premier temps été accueillis favorablement par certains membres du gouvernement. En juillet, Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé, annonçait ainsi soutenir les recommandations de l’INSERM. Ce premier signe favorable fut pourtant suivi d’un démenti cinglant de François Fillon, Premier ministre, qui s’empressa de clore un débat pourtant souhaité par de nombreux acteurs en déclarant que les salles de consommation supervisée n’étaient « ni utiles ni souhaitables ». Cette position fut fidèlement relayée par Etienne Apaire, Président de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Toxicomanies (MILDT) qui lui embraya le pas en affirmant que « la première priorité est de réduire la consommation de drogues en France et non de l’organiser » et que ce dispositif « va à l’encontre de la politique de prévention menée en France, laquelle repose sur le rappel des dangers des drogues ».
Nouveau camouflet pour la Ministre de la santé, cette fin de non-recevoir faite aux professionnels et aux acteurs du champ sanitaire et social illustre surtout la chimère idéologique d’une « société sans drogue » qui dicte la politique actuelle du Gouvernement. Cette levée de bouclier est d’autant plus surprenante qu’il n’y a pas de différence de nature entre le dispositif proposé et les mesures de réduction des risques adoptées à la fin des années 1980, telles que la distribution de seringues stériles, mesures qui avaient provoqué à l’époque exactement les mêmes réactions de rejet, et qui ne sont plus aujourd’hui remises en cause.
Pragmatique et fondé sur des exemples étrangers, qu’il s’agit non de transposer à l’identique mais d’analyser, ce dispositif mérite un débat serein et non dogmatique, comme le demandent différentes institutions et acteurs faisant autorité.
L’examen du concept de salle de consommation supervisée ainsi que les premières expériences d’ores et déjà mises en œuvre à l’étranger, permettent de sortir des caricatures dans lesquelles les opposants au projet souhaitent l’enfermer, comme l’illustre l’expression « salle de shoot » largement véhiculée par les médias et que les tenants de ce projet gagneraient à ne pas reprendre.
En France, le projet n’est envisagé qu’à titre expérimental, dans le cadre d’un protocole très encadré et évalué. Il a vocation à s’inscrire en complémentarité avec les autres dispositifs d’action publique, avec une politique globale d’accès aux soins, d’insertion sociale, de réduction des risques et de « réduction des dommages » liée à la consommation. En effet, même si l’objectif essentiel d’une politique publique est la diminution de la consommation de drogues, elle doit aussi tenir compte de la réalité, et pour les consommateurs qui ne peuvent ou ne veulent cesser toute consommation, veiller à ce que celle-ci produise le moins de dommages possibles pour les usagers eux-mêmes et pour autrui. La crispation gouvernementale n’en apparaît que plus décalée avec la réalité et déconnectée des acteurs.
1 – UNE APPROCHE SANITAIRE ET SOCIALE, ALTERNATIVE, CONFORTEE PAR LES EXPERIENCES ETRANGERES
La salle de consommation supervisée est une structure de soin proposant une approche alternative encadrée par un protocole strict dans un objectif de réduction des risques. Confortés par les différentes expériences européennes, ses objectifs révèlent son intérêt tant en termes de santé que de sécurité publiques.
1.1 – UNE STRUCTURE SANITAIRE ET SOCIALE VISANT UN PUBLIC RESTREINT D’USAGERS DE DROGUES
Une salle de consommation supervisée est un lieu où les usagers de drogue peuvent consommer des produits psycho-actifs illicites, qu’ils amènent eux-mêmes, sous supervision médicale. Ce dispositif d’offre de soins est donc encadré par des personnels soignants et qualifiés (médecins, infirmiers, assistants sociaux, psychologues, éducateurs et parfois médiateurs). Il garantit un cadre thérapeutique, une supervision et une surveillance médicales ainsi qu’une prise en charge sociale et psychosociale. Son organisation impose le respect par les bénéficiaires d’une part du protocole médical, et d’autre part des règles de fonctionnement de la structure (conditions d’accès, horaires, absence de contact entre les bénéficiaires). Une attention toute particulière est portée à la prévention du deal au sein et à proximité de la structure.
La salle de consommation supervisée s’adresse à un public spécifique. Seuls les usagers lourdement inscrits dans la dépendance et la précarité et ayant échoué avec les autres traitements ou avec les autres dispositifs participent à ce type de programme. Exclus des systèmes de soins et d’une prise en charge sociale et psychosociale, ces usagers sont plutôt âgés (de plus de 35 ans) et en situation de grande précarité sociale. Cette structure s’adresse donc à un faible nombre d’usagers. Etienne Apaire, lors de son audition du 20 octobre dernier devant la commission des lois, a réaffirmé que « l’héroïne n’est certes pas devenue une question anecdotique, mais elle ne compte que 70 000 usagers : ce n’est pas le principal problème actuel ».
Or, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) évalue à 230 000 le nombre d’usagers problématiques (c’est-à-dire, selon la définition européenne, les usagers de drogues par voie intraveineuse ou usagers réguliers d’opiacés, cocaïne ou d’amphétamine durant l’année passée pour les 15-64 ans) et à 80 000 le nombre d’usagers qui s’injectent un produit, qui n’est pas toujours de l’héroïne, par voie intraveineuse. En outre, la plupart des salles de consommation intègrent des lieux pour l’injection mais également pour la fumée de certains produits (héroïne, speedball, crack, etc.). Par ailleurs, et c’est essentiel, les salles de consommation ne prétendent pas apporter une solution unique au problème posé. Elles s’inscrivent dans une politique globale qui privilégie la santé publique et visent à organiser l’accompagnement social et la réinscription de ces usagers dans les dispositifs sanitaires et sociaux conventionnels.
Au-delà de la simple question du nombre d’usagers concernés, la salle de consommation répond également à des problématiques concrètes et identifiées d’un territoire donné, telles les scènes ouvertes de drogues sur l’espace public ou les consommations dans un hall d’immeuble. Le lieu d’implantation de la salle doit donc rompre les problématiques et les nuisances d’usages subies par les riverains.
Les salles de consommation participent d’un constat simple : le mieux être des usagers a des conséquences positives tant en termes de santé publique que de cohésion sociale et de sécurité publique.
Ce dispositif répond donc à deux objectifs devant animer une politique équilibrée en matière de drogues :
Des objectifs de santé publique : proposer une prise en charge sanitaire (amélioration de la santé des usagers, réduire les overdoses, lutter contre les infections, poursuivre la réduction des contaminations VIH, VHC, prendre en charge des troubles psychiatriques), conduire vers le soin et le sevrage (substitution), et permettre la réinscription des usagers dans des dispositifs sociaux ;
Un objectif de tranquillité et de sécurité publiques : réduire les scènes ouvertes de drogues, les nuisances, les intrusions dans les halls et les caves, les seringues abandonnées ainsi que la délinquance pouvant être liée à l’usage de drogues, pacifier l’espace public, réduire les représentations négatives envers les usagers et apaiser les relations entre habitants et usagers.
1.2 – LES RAISONS DU BLOCAGE FRANÇAIS
Pourtant, les responsables gouvernementaux en France ont fermé la porte à tout projet innovant. On peut s’interroger sur le choix d’adopter une posture morale face à des arguments scientifiques. Pourquoi évoquer l’incitation à l’usage et revenir à l’idéologie de la « guerre à la drogue », alors que ces programmes ne concernent en aucun cas les usagers occasionnels mais des personnes pour lesquelles l’addiction est une maladie chronique qui doit pouvoir être évoquée et traitée comme toute autre maladie chronique ?
Trois hypothèses sont envisageables.
La première serait celle d’un gouvernement ayant adopté une mauvaise lecture politique du débat en cours dans lequel il ne verrait qu’un premier pas vers une dépénalisation de l’usage des drogues. Si cette hypothèse était avérée, elle démontrerait une grande méconnaissance des préoccupations des professionnels et acteurs de terrain. La MILDT, placée sous l’autorité du Premier ministre, ne doit pas oublier qu’elle est chargée de « l’observation et de la prévention de la toxicomanie, de l’accueil, des soins et de la réinsertion des toxicomanes, de la formation des professionnels, de la recherche, de l’information ». Les propos récents de son président illustrent un certain retour en arrière depuis le début des années 2000, où la MIDLT avait été le fer de lance d’une politique de drogues réaliste et pragmatique, basée sur des études scientifiques et adaptée aux pratiques.
Deuxième hypothèse, le gouvernement souhaite avant tout privilégier l’interpellation et la sanction au détriment des politiques de santé publique et d’insertion. Or, si les risques sanitaires sont aujourd’hui bien documentés, l’impact des politiques répressives reste incertain. Comme le montrent les études menées par l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies, on ne peut pas corréler la plus ou moins grande sévérité des politiques pénales avec l’évolution du niveau de consommation. Et, contrairement à ce qu’affirme le président de la MILDT, la diminution de la consommation en France ne peut s’expliquer par l’augmentation des interpellations pour usage. Cette diminution a en effet débuté en 2002 de sorte qu’elle ne peut en aucun cas être imputée à la politique actuelle. En rompant ainsi l’équilibre d’une politique cohérente en matière d’addiction qui s’appuie sur la prévention, le soin, la réduction des risques et la répression, le gouvernement prend le risque de compromettre les bénéfices obtenus en terme de santé publique. Le volet répressif, nécessaire et utile à une politique globale bien comprise, doit avant tout se concentrer sur la lutte contre les trafics et non sur les usagers.
La troisième hypothèse est que le gouvernement, plus globalement, est déconnecté des expériences plus pragmatiques et des attentes de la population, fondées sur l’expérience et non sur des positions idéologiques. En ne prenant pas les moyens de proposer aux populations les plus marginalisées, qui ne demandent pas d’aide, des solutions acceptables, on prend le risque de les précariser encore davantage et de les rendre invisibles et totalement vulnérables. Le coût d’un tel aveuglement serait sans commune mesure avec l’économie réalisée. Les salles de consommation ne sont qu’un outil d’une politique de réduction des risques qui doit intégrer les dimensions sanitaires, sociales et de sécurité. Les usagers les plus en difficulté ont bien d’autres sujets de préoccupations que celle de leur dépendance et un tel outil doit aussi permettre des décloisonnements qui ne sont pas toujours la règle. Il est important que ce raidissement trouve en face de lui des acteurs locaux (élus, professionnels des secteurs sanitaire et social, acteurs de la prévention et de la sécurité, réseaux associatifs…) soucieux de démontrer l’adaptabilité des réponses innovantes et les limites d’une posture inutilement moralisatrice. La société ne peut tout simplement pas laisser des populations totalement marginalisées sans organiser une réponse et une prise en charge. Comme le souligne Emmanuel Hirsch, directeur de l’Espace éthique de l’AP-HP, les salles de consommation ne sont qu’un moindre mal mais elles répondent aussi, sur un plan éthique, à une obligation de soin auprès de populations vulnérables, à une obligation de non-indifférence, de sollicitude, envers des personnes humaines dont la santé, voire la vie, sont menacées.
Dès lors, il est nécessaire de conduire un débat dépassionné sur les salles de consommation supervisée et leur mise en œuvre dans le cadre d’un protocole strict.
1.3 – DES EXEMPLES EUROPEENS ET INTERNATIONAUX DONT IL FAUT S’INSPIRER SANS LES TRANSPOSER INTEGRALEMENT
Les premières salles de consommation ont été ouvertes en Europe dans les métropoles durement touchées par la toxicomanie au cours des années 1980-90. Elles ont été créées avec les mêmes ambitions sanitaires et de sécurité publique que celles aujourd’hui mises en avant par les tenants de cette expérimentation en France. En 2010, on recensait déjà 92 salles de consommation implantées dans 61 villes de 8 pays (Suisse, Pays-Bas, Allemagne, Espagne, Norvège, Luxembourg, Canada, Australie) et les débats français font écho à ceux actuellement en cours aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou encore en Italie.
La Suisse a ainsi développé ce dispositif auprès d’usagers fortement dépendants pour leur permettre d’intégrer un système de soins, d’améliorer leur santé physique et mentale, de favoriser leur insertion sociale et de créer les conditions adaptées permettant l’arrêt de la consommation. D’autres pays européens ont suivi l’exemple suisse avec des résultats convaincants. Ces impacts positifs sont constatés sur la prise en charge des usagers les plus précarisés et la baisse des risques liés aux injections. Il n’y a pas de preuve que l’ouverture de salle entraine une hausse de la consommation de drogues injectables pour d’autres usagers de drogues et d’incitation à l’usage. Enfin, on note une diminution globale des nuisances et des faits de délinquance liés à la drogue, sans aggravation importante à proximité des lieux d’implantation.
Des structures sont construites sur un projet d’injection médicalement supervisée de l’usager. Celui-ci apporte sa dose personnelle et s’injecte son produit sous surveillance médicale sans que les soignants ne l’aide dans cette injection. Le personnel médical apporte des conseils préventifs pour éviter les comportements à risques et met à disposition du matériel stérile pour que les usagers puissent consommer à moindre risque. Ces structures s’insèrent dans un dispositif de soin répondant à la gamme de besoins sanitaires et sociaux identifiés. Elles proposent également l’ensemble des conditions de prise en charge sanitaire et psychosociale et poursuivent des objectifs identiques. Les expériences étrangères et les évaluations menées révèlent ainsi l’intérêt de telles expérimentations qui compléteraient la politique de Réduction des Risques dans le cadre d’une méthodologie préalable. Les Villes de Paris, Marseille, le Havre, Bordeaux et Toulouse ont ainsi fait part de leur intérêt pour de telles structures.
2 – UNE STRUCTURE DE SOIN RENFORÇANT LA POLITIQUE DE REDUCTION DES RISQUES, S’APPUYANT SUR UNE METHODOLOGIE RESPONSABLE
L’expérimentation de salle de consommation s’inscrit dans la philosophie et le cadre légal de la Réduction des Risques liés à l’usage de drogues, un des volets d’une politique cohérente en matière d’addiction. Une méthodologie responsable soutient les conditions favorables à son installation.
2.1 – UN OUTIL COMPLEMENTAIRE DE LA POLITIQUE DE REDUCTION DES RISQUES
Une salle de consommation supervisée répond aux problématiques d’un territoire spécifiquement et particulièrement marqué par l’usage de drogue sur l’espace public. Elle complète une politique de soin et de réduction des risques et une stratégie locale fondée sur la prévention, le soin, la réduction des risques et la lutte contre le trafic, quatre volets indissociables à une politique cohérente. Elle n’a de sens que si cette structure est complémentaire et intégrée dans une politique de soin plus large. Elle constitue aussi un enjeu géopolitique. Chaque expérience locale est évaluée et, de ce fait, permet une promotion à l’échelle internationale, où notamment les questions de sida se posent d’une autre manière.
Selon l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, « la réduction des risques est une stratégie qui se positionne comme une alternative à celle qui donne une priorité à la réduction de l’offre (prohibition) et de la demande (abstinence) de drogues. Elle considère l’usage de drogues comme un fait qui ne saurait disparaître et qu’une majorité des usagers ne peuvent (ou ne veulent) pas cesser leur consommation dans l’immédiat. ». Elle considère cependant que la consommation de drogue constitue, en elle-même, un risque qu’il convient de réduire, en incitant les usages à aller vers le sevrage.
Initialement imposé par l’épidémie de sida et la nécessité de reconsidérer les stratégies sanitaires et sociales de prévention et de soins des héroïnomanies par voie veineuse, le changement de politique sanitaire s’est étendu à la considération globale des addictions en laissant une place à la réduction des risques, objectif de politique publique visant la baisse de consommation de drogues. Rappelons les errements des réponses apportées aux usages d’héroïne. A un produit qui agit de manière chimique et fonctionnant physiologiquement et neurobiologiquement, des logiques de désintoxication et d’abstinence et des traitements psychologiques étaient proposés. Depuis, les traitements de substitution, la mise en place de réseaux médico-psycho-sociaux et l’organisation de la réduction des risques ont permis d’instaurer un nouveau dialogue avec les usagers. Mais cette évolution a été lente en raison de l’hostilité de nombreux responsables politiques, et également de certains professionnels sanitaires qui s’étaient opposés à la vente libre de seringues, puis à la mise en place des traitements de substitution, en invoquant l’incitation à l’usage ainsi que des arguments moraux basés sur l’idéologie prohibitionniste et d’abstinence.
Michèle Barzach et Simone Veil, en autorisant la vente libre des seringues, les programmes d’échanges de seringues et le développement de programmes de traitement de substitution, ont répondu à deux objectifs : prévenir la contamination par les virus du sida et de l’hépatite et permettre aux usagers d’accéder au système de soins. Cette politique de réduction des risques, que plus personne ne conteste aujourd’hui, a permis de diminuer le nombre d’usagers de drogues contaminés et de réduire efficacement les overdoses. Ces ministres avaient reconnu la priorité de santé publique sur la politique de « lutte contre la drogue et contre les drogués ». Une nouvelle approche, fondée sur la réalité telle qu’elle est, et sur des données scientifiquement validées devait ainsi émerger. « La réduction des risques ne s’est pas imposée parce qu’elle était rationnelle, elle s’est imposée par ses résultats ».
La réduction des risques, fondée sur des nécessités de santé publique, rencontre encore une certaine hostilité. L’expérimentation de salle de consommation suscite le même débat moral que celui qui a été opposé aux programmes d’échanges de seringue et de substitution. Il n’y a pas de différence philosophique ou de nature entre ce qui a été reproché aux défenseurs du programme d’échanges de seringue en 1987, et ce qui est reproché aux défenseurs de l’expérimentation des salles de consommation. Encore une fois, face à l’expertise scientifique de l’INSERM, des croyances et des présupposés idéologiques remettent en cause des connaissances validées pourtant avec prudence. Ce débat révèle surtout qu’un consensus est long à obtenir.
Longtemps contestée en France, la réduction des risques est désormais encadrée juridiquement. Depuis la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, la politique de réduction des risques entre clairement dans la compétence de l‘Etat et elle est définie comme visant à prévenir « la transmission des infections, la mortalité par surdose par injection de drogue intraveineuse et les dommages sociaux et psychologiques liés à la toxicomanie par des substances classées comme stupéfiants » (art. L. 3121-4 du code de la santé publique). De plus, le décret du 14 avril 2005 définit le référentiel national des actions et protège les acteurs de la réduction des risques des poursuites liées à leur intervention en direction des usagers.
Le cadre juridique actuel ne s’oppose en rien à la mise en œuvre d’une expérimentation, comme le disent certains opposants. Une évolution de la circulaire du 2 janvier prévoyant qu’une attention particulière soit portée aux usagers les plus précarisés dans le cadre des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques (CAARUD) permettrait son encadrement légal, comme cela a été exposé lors de la présentation des recommandations issues du séminaire d’Elus, Santé Publique et Territoire le 24 septembre 2010 .
2.2 – UNE METHODOLOGIE ET UNE CONCERTATION RESPONSABLES
Une salle de consommation n’est pas une structure isolée, elle n’a de sens que si elle s’appuie sur les autres dispositifs qui peuvent être développés localement (ex : actions de prévention, formation et soutien aux professionnels, échanges de pratiques, travail en réseau et partenariat, dispositif de soins, programmes de substitution…). Une salle de consommation s’envisage dans la cohérence d’une politique globale et dans un ensemble allant au-delà du système de soin. Elle nécessite un partenariat et un consensus afin de construire des conditions favorables à une expérimentation. La terminologie de « salle de shoot » ne reflète pas la réalité de ce dispositif sanitaire et social, fondé sur le droit et l’accès à la santé, mais conforte les peurs et les représentations négatives de la population à l’égard des usagers de drogue. La pédagogie doit aussi s’adresser à la population.
L’expérimentation doit intégrer un diagnostic préalable, une évaluation précise des objectifs fixés et un accompagnement territorial.
Soutenu politiquement par les élus locaux, le diagnostic associe l’ensemble des acteurs intervenant dans le processus : institutions sanitaires, policières, judiciaires, représentants de l’Etat, acteurs associatifs, société civile et habitants. Un état des lieux précis du territoire doit comprendre des indicateurs non seulement sanitaires mais également de sécurité publique. Il doit révéler les forces, les faiblesses et les opportunités locales ainsi que les réponses apportées en termes de prévention, de soin, de réduction des risques et de lutte contre les trafics. Il s’accompagne de l’examen des données sanitaires et des services de police et de justice disponibles.
De plus, des outils d’évaluation sanitaires, sociaux et criminologiques sont à construire. L’évaluation se prévoit avant ouverture et doit régulièrement être conduite au cours du fonctionnement de l’équipement. Elle doit mesurer les effets sur les usagers et sur le territoire tels que l’amélioration de leur santé physique et mentale, l’accès vers le soin, la diminution des nuisances et de la délinquance. Cette évaluation peut prévoir l’étude des nuisances publiques et l’évolution de la délinquance via des questionnaires (délinquance auto reportée et enquêtes de victimation), des enquêtes sur les représentations de la population sur les usagers de drogues ainsi que l’examen des données de la Police et de la Justice. L’examen des coûts de cette expérimentation est à étudier précisément, en croisant son efficience avec les coûts évités, notamment ceux d’une prise en charge de traitements du VIH et VHC, comme le souligne l’association « Elus contre le SIDA », mais aussi ceux résultant de la marginalisation sociale croissante de ces usagers.
Enfin, le cadre de cette expérimentation doit être défini en partenariat avec les acteurs institutionnels (sanitaires, sociaux, policiers et judiciaires) et avec les acteurs associatifs notamment dans un comité de pilotage qui, réuni régulièrement, permet le suivi et l’accompagnement du processus et les recadrages nécessaires.
Au-delà du partenariat entre les acteurs, les habitants doivent également être associés dans l’ensemble de la démarche, en toute transparence et dans un souci de dialogue et de communication afin qu’ils valident l’implantation de la salle. Cette pédagogie et ce dialogue visent à prévenir le phénomène de rejet dit « phénomène Nimby » (Not in my backyard), qui qualifie l’opposition de populations riveraines à l’implantation de certains équipements publics à proximité de chez eux. Celui-ci ne concerne pas seulement les salles de consommation mais aussi des centres pour mineurs délinquants, des centres d’hébergement pour personnes en difficulté, ou des lieux d’accueil à bas seuil pour usagers de drogues encore actifs (CAARUD). Mais ce dialogue doit aussi viser à associer les habitants aux choix opérés, à leur faire partager les objectifs poursuivis et à réajuster les moyens mis en œuvre en fonction de l’évaluation de l’impact tant pour les usagers de drogue que pour la population riveraine.
Les bénéfices peuvent être attendus si un tel cadre est organisé et si un effort d’explication est réalisé sur les bénéfices attendus en termes de politique sanitaire et de sécurité notamment pour les usagers mieux pris en charge sur le plan sanitaire et social, pour les professionnels intervenant dans des conditions plus sereines, et pour les habitants qui voient les nuisances diminuer, sans oublier l’impact sur le contribuable. Les conditions d’hygiène et de sécurité favorisent l’amélioration de la prise en charge sanitaire et sociale des usagers les plus vulnérables. La salle de consommation pacifie l’espace public et permet la réduction des nuisances, de la délinquance et l’usage de drogues sur le territoire visé. Des craintes restent à dissiper sur l’incitation à l’usage et l’affluence des usagers sur le lieu d’implantation par une communication transparente.
Le débat doit être posé politiquement sur les conséquences attendues tant dans le domaine sanitaire que dans celui de la cohésion sociale et de la sécurité publique.