Source: Le Reporter
N° 462 ,15 mai 2008
Dossier réalisé par Brahim Mokhliss
Face à l’inefficacité des campagnes de lutte contre la production du haschich, des acteurs de la société civile appellent à la légalisation de sa production au Maroc. Ne serait-ce que pour l’exploitation de ses atouts pharmaceutiques. Ils préparent un débat national sur la question.
Le Maroc est la principale source de résine de cannabis (haschisch), alimentant en particulier le marché européen.
La région du nord où se concentre cette herbe couvre environ 20.000 kmÇ. Cette surface s’étend de jour en jour à d’autres zones.
Toutes les mesures prises pour éradiquer cette culture illégale n’ont pas donné des résultats satisfaisants.
Partant de ce constat, des acteurs de la société civile appellent à une autre approche pour traiter cette question. Ils demandent carrément la légalisation du cannabis au Maroc.
Parmi les défenseurs de cette position figurent Lahbib Haji, avocat et défenseur des droits humains, docteur Tahar Toufali, professeur universitaire en science politique, docteur Benacer Hemmou Azday, professeur universitaire en sciences physiques, Chakib Al Khayari, président de l’Association du Rif pour les droits de l’Homme, Mohamed Chami, universitaire et membre de l’Institut Royal de la Culture Amazighe…
Ces derniers sont parmi les auteurs d’un appel qui vient d’être lancé, servant d’« invitation pour ouvrir un débat public sur la légalisation de cannabis au Maroc et l’orientation de ses utilisations».
Cette initiative, vient selon ses initiateurs « après l’échec de la politique de l’éradication des champs de cannabis au nord du Maroc, orienté par l’UE et l’ONU, qui a eu deux résultats : l’aggravation de la souffrance des familles des cultivateurs pauvres à cause de cette éradication des champs en l’absence d’alternatives. Ce qui se contredit avec la politique nationale et internationale luttant contre la pauvreté. Et a fait que beaucoup des trafiquants ont changé leur stratégie en s’orientant vers le trafic des drogues illicites dures et les armes qui sont vendus à des groupes criminels et terroristes ».
Les défenseurs de la légalisation du cannabis au Maroc qui viennent de se constituer en une sorte de groupe de pression, estiment que la vraie guerre doit être menée contre les trafiquants de drogues et « non pas contre les champs de cannabis où plutôt contre les pauvres cultivateurs ».
Ils ont lancé l’appel défendant l’idée de légaliser la culture de cannabis pour des usages thérapeutique et industriel d’une façon générale, dans le cadre d’une économie alternative dans les régions où il y a les champs de cannabis. Pour cela, ils proposent aux autres acteurs et organisations marocaines d’ouvrir un débat national sur la question.
Dans l’appel qu’ils ont lancé ils proposent « d’organiser des colloques et rencontres scientifiques et politiques, pour développer les idées sur le sujet dans un cadre de démocratie et de respect, afin de créer un forum marocain pour traiter de ce sujet. Et de collaborer avec les chercheurs et les organisations internationales qui défendent l’usage thérapeutique et industriel de cannabis ».
Les initiateurs de cette action travaillent d’arrache pieds pour faire entendre leurs propositions. Pour cela, ils sont en train de mettre sur pied une première rencontre nationale sur le sujet qu’ils programment pour le mois prochain. Les acteurs de la société civile mobilisés autour de la question de la légalisation de la culture du cannabis, ont également demandé l’appui d’ONG internationales qui ont de l’expertise et de l’expérience en cette matière. Notamment l’ENCOD (European Coalition for Just and Effective Drug Policies) et l’Association Internationale pour le Cannabis Médical (IACM).
L’ENCOD est une plate-forme fondée en 1993 par des citoyens européens soucieux ou concernés par la guerre contre les drogues. Cette ONG est persuadée « qu’il faut remplacer la prohibition des drogues par une politique raisonnable et juste, pour avoir une approche humaine permettant de réduire les risques causés par les stupéfiants ».
Pour elle, mettre un terme à la guerre aux drogues améliorerait le niveau de vie de centaines de millions de citoyens et ferait perdre au crime organisé une très grande partie de ses revenus. L’ENCOD rassemble des représentants des usagers de drogues et des parents concernés, des travailleurs sociaux et sanitaires, des experts, des entrepreneurs, des citoyens et des activistes de toute l’Europe. Quant à l’Association Internationale pour le Cannabis Médical, elle a été fondée en mars 2000.
Il s’agit d’une société scientifique qui défend l’amélioration du cadre légal pour l’utilisation thérapeutique du cannabis et de ses principes actifs les plus importants (les cannabinoïdes ) dans les applications thérapeutiques ainsi que la promotion de la recherche et de la diffusion des informations. L’IACM prône le droit des médecins de discuter avec leurs patients de l’utilisation médicale du cannabis.
Des milliers de familles dépendent du cannabis
Un accord de coopération a été signé en février 2003 entre l’Office des Nations Unies pour la lutte contre la Drogue et le Crime (ONUDC) et le Gouvernement marocain à travers l’Agence du Nord qui a été désignée par le gouvernement comme l’institution chargée de l’élaboration et de la réalisation, en collaboration avec l’ONUDC, d’un programme d’actions de lutte contre les drogues illicites et la criminalité organisée au Maroc.
Pour la mise en oeuvre de la première étape de ce programme, l’APDN et l’ONUDC, avec l’appui du Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural, ont réalisé en 2003 une enquête socio-économique sur la culture du cannabis dans les régions du Nord.
Les résultats de cette enquête ont démontré que la population s’adonnant à la culture du cannabis est de 804.000 personnes, soit 96.600 familles, chaque famille dégageant un revenu annuel ne dépassant pas 3600 dirhams par personne, soit 51% de leur revenu annuel.
Pour approfondir la réflexion liée à la culture du cannabis, 3 enquêtes complémentaires ont été menées en 2004 : une étude sur la sociologie de la culture du cannabis dans le Rif Central avec l’Association Interdisciplinaire pour le Développement et l’Environnement TARGA; une enquête sur les surfaces cultivées en 2004 (une carte d’occupation du sol dans les provinces du Nord) avec le Centre Royal de Télédétection Spatiale et une autre enquête scientifique sur les rendements et la qualité du cannabis et de ses produits dérivés avec le Laboratoire de Recherches et d’Analyses Techniques et Scientifiques, LARATES
(Gendarmerie Royale)
Entretien avec. . .
Abderrahmane Merzouki,
Enseignant-chercheur à la faculté des sciences de Tétouan
Cannabis, la plante la plus étudiée au monde
Le professeur Abderrahmane Merzouki, scientifique biologiste et enseignant- chercheur à la faculté des sciences de Tétouan, se penche depuis des années sur les vertus scientifiques de la plante du cannabis. Il nous livre ses secrets à ce sujet et nous parle de l’importance de la légalisation du cannabis au Maroc…
En tant que scientifique, vous suivez la culture du cannabis au Maroc depuis des années. Pouvezvous nous parler du développement de cette culture ?
Ma rencontre avec la plante du cannabis date de l’année 1989 lors d’une rencontre avec un chercheur americain, le seul qui avait publié un article scientifique sur la culture du cannabis dans le Rif, suite à une expédition dans la région en 1966 (T. Mikuriya : Cannabis crops in Rifian mountains; Economic Botany, 1967).
En 1991, j’ai proposé un projet multidisciplinaire pour financement à la communauté Européenne (Appel d’offre STD3) impliquant quatre départements de l’université de Grenade (Botanique, physiologie végétale, pédologie et génétique). La réponse fut négative vu la sensibilité du sujet à l’époque.
Cette première démarche m’a ouvert les portes pour des collaborations fructueuses qui se sont soldées par de multiples projets financés par différents organismes (Junta de Andalucia, Université de Grenade, AECIAgencia Espanola de Cooperacion Internacional, OTRI-Empresas Granada ; Sannica Biotech Canada). Dix ans après, nos recherches ont abouti à la publication de nos travaux dans des revues scientifiques et à la présentation d’une thèse d’Etat sur « La taxonomie, Biologie et
Ethnobotanique de la culture du cannabis dans le Rif ».
Durant la période 1989-2007, j’ai été témoin des évolutions relatives à cette culture, essentiellement sur le plan social.
Est-ce que cette culture a une particularité au Maroc par rapport à d’autres pays ?
La seule particularité de cette culture dans notre pays relève du social. Les caractéristiques particulières de la région montagneuse du Rif et son histoire de zone marginalisée ont fait de cette culture, une culture de subsistance incontournable pour la population locale.
Que pouvez-vous nous dire de l’intérêt que peut présenter la plante du cannabis sur le plan pharmaceutique et celui scientifique en général ?
Actuellement, avec le pourcentage d’articles scientifiques publiés périodiquement, on peut considérer le cannabis comme la plante la plus étudiée au monde pour ses potentialités médicinales. A partir de l’année 1998, quatre nouveaux médicaments ont vu le jour. Le dernier en date est Sativex, un produit de GW Pharmaceutical, un spray pour les douleurs chroniques. Cette entreprise pharmaceutique s’est consacrée au cannabis en regroupant des dizaines de chercheurs de haut niveau dans son siège en Angleterre. Parmi ces chercheurs,E. Russo, un neurologue de l’université du Montana avec qui on collabore sur le thème « Cannabis et vision ». Ce chercheur a eu la bonté de financer ces recherches en nous sponsorisant le matériel scientifique pour ces recherches. Notre première publication sur ce thème nous a ouvert la voie pour l’étude d’un aspect nutritionnel lié à la consommation du cannabis. Recherche que nous menons en collaboration avec une équipe de nutritionnistes de l’université de Grenade et qui a bénéficié ces deux dernières années d’un financement de l’AECI (Espagne).
Les officiels combattent la culture du cannabis et mettent en avant surtout les effets néfastes de cette culture sur l’environnement. Qu’en pensez-vous ?
Dire que le cannabis et sa culture ont des effets néfastes sur l’environnement relève de l’ignorance et du manque d’informations sur cette plante. Alors que des pays, où l’avis des scientifiques est pris en considération, autorisent sa culture pour pallier des effets néfastes sur l’environnement (la surexploitation des forêts par exemple).
Avez-vous des propositions au sujet de l’exploitation de cette plante au Maroc ?
Lors de la présentation de ma thèse d’Etat en 2001 se trouvait parmi les membres des jurés, un éminent scientifique marocain, Dr. Abdelmalek Benabid qui voulait que mes propositions soient transmises aux autorités responsables de l’espace montagneux qui sont les Eaux et Forêts. J’ai su que des bribes de discussions ont eu lieu mais sans aucune perspective. En 2002, une proposition concrète fut élaborée suite aux travaux de recherches menés dans le cadre de deux projets financés par le gouvernement autonome andalous « Perspectiva etnobotanica en la posible sustitucion del cultivo de cannabis en el Rif », en collaboration avec le groupe de recherche que dirige Joaquin Molero Mesa et « Desarrollo local en Zoumi : Plan de sostenibilidad para potenciar los recursos endogenos » et en collaboration avec le groupe de recherche en sociologie que dirige Jose Sanchez Alhama.
Il faut signaler que la problématique de la culture du cannabis dans le Rif est complexe et la proposition de solutions pour cette culture, qui reste aux yeux de la loi illicite, nécessite l’élaboration d’un plan stratégique intégré pour la substitution et la réorientation des produits de cette culture. Malheureusement on assiste autour de cette problématique de la culture du Cannabis à des propositions farfelues comme la substitution du Cannabis par le maïs pour la production du biodiesel.
Aujourd’hui, un groupe pour la légalisation du cannabis est en cours de constitution au Maroc. Qu’en pensez-vous ?
La démarche menée par le groupe aura au moins l’avantage de lancer un débat sur la
problématique qui affecte directement des milliers de familles dont la survie dépend directement de la rente de cette culture. En ce qui me concerne, l’information sur ce groupe m’a été transmise par des collègues de l’IACM (Association Internationale pour le Cannabis Médicinal).
Le groupe avait demandé des informations sur les expériences de légalisation du cannabis dans d’autres pays.
J’ai été sollicité par un membre du Groupe pour participer à un éventuel débat concernant la démarche de la légalisation.
En tant que chercheur ma participation ne pourra tourner qu’autour des aspects scientifiques de cette plante et de sa culture.
Vous êtes membres d’ONG qui oeuvrent pour l’utilisation médicale du cannabis. Quel pourrait être l’apport de telles associations pour le mouvement marocain de légalisation du cannabis ?
A vrai dire je suis membre de sociétés scientifiques et non d’ONG au sens strict du terme. Le Maroc est un pays souverain avec son arsenal juridique. La recherche de solutions à la culture du Cannabis doit être la nôtre, loin des pressions hypocrites de l’étranger. Ce mouvement doit s’armer de patience et d’une démarche scientifique au sens large du terme car le combat vaut la peine.
Réaction
Sur le site d’ENCOD (European Coalition for Just and Effective Drug Policies) un Marocain a procédé à une comparaison entre la production de l’alcool et la production du cannabis.
Voici ses déductions.
Il parait incroyable que la politique de répression du cannabis ne soit pas davantage critiquée par les pays qui en sont traditionnellement producteurs. Comment se fait-il qu’il n’y ait jamais personne pour s’étonner de ce que la production d’alcool soit subventionnée et celle du cannabis persécutée.
Comment se fait-il que l’on se fasse les premières fortunes par le commerce de ce poison dont les ventes ainsi que le nombre des victimes progressent parallèlement partout dans le monde. La dangerosité n’est pas décisive dans ce domaine où l’irrationnel semble régner en maître…
Les morts de l’alcool sont sûrement bien moins graves que ceux, introuvables du cannabis.
Depuis des siècles, les paysans marocains sont des spécialistes reconnus de la culture d’un produit apprécié dans le monde entier.
Ce cannabis pourrait les faire vivre mais au lieu de ça ils sont combattus et criminalisés. Où est la logique de ce raisonnement ? Pourquoi les dirigeants de ce pays ne défendent-ils pas leur culture lorsqu’elle est attaquée et bafouée.
Pourquoi ne combattent-ils pas aujourd’hui des décisions internationales prises par leurs colonisateurs ? Ils approuvent ?
Au regard de la sécurité sanitaire, ils ne devraient pourtant pas avoir honte de leur cannabis dans un monde où les parlementaires français eux ont trouvé le moyen de faire l’apologie de l’alcool dans un livre blanc qui a fait croire que le bilan de la consommation de vin par exemple, était positif.
Le vin représente 60% de la consommation alcoolique en France et donc 60% de ses 45.000 morts. Ce chiffre qui est très sous estimé est quand même impressionnant non ? »
Entretien avec. . .Joep Oomen, Fondateur d’Encod
Joep Oomen, Fondateur de l’European Coalition for Just and Effective Drug Policies (Encod).
Encod fait partie des ONG internationales qui ont été sollicitées pour soutenir l’initiative visant la légalisation du cannabis au Maroc. Dans cet entretien, son fondateur parle de cette initiative et des Marocains membres de son organisation
Un groupe de Marocains vient de lancer un appel pour la légalisation du cannabis. Est-ce que vous les soutenez ?
On estime que c’est une initiative excellente. Mais il faut réaliser que c’est un chemin long et difficile. Jusqu’à maintenant, les autorités européennes ont soigneusement réussi à éviter un débat ouvert et public sur la question. La raison est qu’elles savent que si un jour ce débat commence, il y a peu de doutes qu’il aboutisse à la légalisation…
ENCOD milite pour mettre un terme à la guerre aux drogues, et donc, elle est pour la légalisation de la culture du cannabis. Est-ce que vous avez déjà mené des actions au Maroc dans ce sens ?
Non, on a toujours limité nos activités à l’Europe. Mais notre but est de collaborer avec toutes les organisations (au niveau européen et international) actives sur le terrain pour mettre un terme à la prohibition internationale du cannabis et autres drogues. Parce qu’on estime que cette politique constitue la cause la plus importante des problèmes associés a la production, le trafic et la consommation de cette substance.
Pensez-vous qu’une politique de légalisation sera bénéfique aux cultivateurs et non pas aux trafiquants ?
La légalisation du cannabis amènerait plus de transparence dans le commerce de gros et de détail, une qualité et un contrôle des prix plus stricts. Et ce, tout en limitant les dommages et risques associés à sa consommation.
Cela réduirait notablement l’implication de la mafia dans le business et le marché noir. En plus, ça faciliterait les multiples usages de cette plante, incluant les utilisations médicales et industrielles qui accompagnent le développement de l’humanité depuis des millénaires.
La légalisation ne serait pas plutôt un couvert pour les trafiquants de drogue pour agir plus à l’aise, toujours au détriment des cultivateurs ?
Tout le contraire. Avec la légalisation, on peut commencer à réguler le trafic, à contrôler les conditions de production, l’élaboration des produits, qualité, prix, mouvements financiers, distribution (limites d’âge). En d’autres termes, le contrôle du trafic passera du canal des organisations criminelles aux mains des autorités, en collaboration avec des organisations qui sont intéressées dans un marché transparent au profit des cultivateurs et des consommateurs.
Est-ce qu’il y a des Marocains qui font partie de votre association?
Oui, dans quelques organisations membres d’Encod il y a des Marocains qui s’identifient à nos objectifs et propositions. Parce que, entre autres, ils sont convaincus que la prohibition du cannabis est utilisée par des autorités européennes pour stigmatiser et criminaliser des communautés nord-africaines en Europe.
Combien il y a de Marocains membres de votre association ?
Encod est composée d’organisations et d’individus. Je ne connais pas tous les membres. Mais de ceux que je connais, il y a au moins un Marocain très actif dans l’organisation de la Marche Mondiale pour le Cannabis à Paris qui s’appelle Khalid.
Est-ce qu’il y a une section régionale d’Encod au Maroc ou une sorte de coordination ?
Pas encore, mais on est très intéressé et nous réfléchissons à la possibilité d’initier cette coordination.
Et ce, comme on l’a déjà fait avec des organisations des producteurs de la feuille de coca et autres organisations dans la région andine en Amérique du Sud pour défendre la légalisation de la culture de coca là bas, qui a aussi des connotations culturelles depuis des milliers d’années.