Source: 24 heures
01.12.2008
Par: CÉDRIC WAELTI
L’initiative populaire qui demandait une dépénalisation du cannabis et une réglementation du marché a été réduite en cendres par les citoyens. Plus de six Suisses sur dix et l’intégralité des cantons ont refusé le projet.
Toutefois, le chanvre va rester un moment encore sur la table des parlementaires. Le décalage qui subsiste entre l’interdiction légale et l’impunité de fait dont bénéficie la majorité des amateurs de «fumette» brouille le message donné aux jeunes. «Cette interdiction est une porte d’entrée pour les parents qui veulent aborder avec leurs enfants la question du cannabis, mais elle implique qu’on explique le pourquoi de l’interdiction», rappelle Michel Graf, directeur de l’Institut suisse de prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies (ISPA). «Il n’y a pas d’urgence, mais il va falloir reprendre le sujet, car le vote d’hier n’a rien réglé.»
Pour clarifier le discours, l’Association suisse des professeurs, le Conseil suisse des activités de jeunesse, Pro Juventute et le PDC demandent d’infliger systématiquement des amendes d’ordre aux fumeurs majeurs de joints (aujourd’hui, seuls les récidivistes sont mis à l’amende). Une initiative parlementaire allant dans ce sens a d’ailleurs déjà été déposée. S’inspirant du modèle saint-gallois, elle est traitée actuellement par une commission du National. «Pour les mineurs, nous introduisons l’obligation légale de suivre un cours de prévention sur l’addiction», explique Michael Marrug, responsable des affaires publiques au sein de Pro Juventute.
Polyconsommation
Jean-Daniel Barman, directeur de la Ligue valaisanne contre les toxicomanies et membre de la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues, insiste, lui, sur la nécessité de faire preuve «d’imagination» en matière de prévention. «Il faut en finir avec l’approche cloisonnée sur le cannabis. Nous sommes aujourd’hui dans une phase de polyconsommation. Certains fêtards commencent par un joint puis boivent de l’alcool, avant de passer un peu plus tard à une pilule d’ecstasy.»
Le directeur de l’ISPA, Michel Graf, confirme ce phénomène. «Il faut oublier la distinction entre drogue douce et dure. C’est la manière de consommer qu’il faut prendre en compte. Beaucoup de jeunes boivent de l’alcool de manière dure.»
Pour ces jeunes «à risque» qui recherchent avant tout un état second, la notion même de légalité de la substance importe peu. Au-delà de la prévention, c’est surtout la vigilance de leur entourage qui pourra les tirer d’affaire. «Il est essentiel d’avoir des détecteurs qui captent tout changement de comportement.» Parents, professeurs et même moniteurs de sport sont donc en première ligne. «Un jeune qui d’un coup ne vient plus s’entraîner ou un très bon élève qui se met à collectionner les très mauvais résultats sont des signaux d’alerte», insiste Michel Graf.
«Il faut faire un effort en matière de prévention»
Georges Pasquier, président du Syndicat des enseignants romands, est conscient du rôle joué par les profs. «C’est vrai que certains collègues du secondaire sont régulièrement confrontés au problème. Raison pour laquelle, avec la Fédération suisse des fonctionnaires de police, nous étions contre le signal donné par l’initiative. L’interdiction est maintenue, cela nous permet d’agir, mais ce n’est pas suffisant, il faut vraiment faire un effort en matière de prévention.» Un message qui reste donc aujourd’hui encore à définir.
Une non-décision
COMMENTAIRE DE CÉDRIC WAELTI, JOURNALISTE RUBRIQUE SUISSE
Nous n’avons pas fini de parler du cannabis, car le vote d’hier ne règle rien. Les Suisses ont certes balayé le projet. Davantage que la dépénalisation, c’est surtout la perspective d’un commerce légal qui a fait peur. Comment contrôler les vendeurs ? Comment s’assurer que le cannabis ne soit pas vendu aux mineurs ? L’initiative, de par sa forme générale, n’apportait aucune réponse.
Reste que le signal donné aux jeunes est loin d’être aussi positif que veulent bien le dire les opposants à la dépénalisation. Il est en réalité à tout le moins ambigu, pour ne pas dire schizophrénique. L’interdiction de fumer du cannabis n’est que théorique. Car les sanctions sont rares, et les policiers ont d’autres priorités que de faire la chasse aux petits fumeurs de joint.
Ce double discours est particulièrement pervers sur un plan éducatif. Il montre d’abord aux jeunes qu’on peut transgresser la règle sans en subir les conséquences. Il prouve ensuite que la norme, en l’occurrence l’interdiction, n’est pas crédible. Un bien mauvais départ pour entamer une «franche» discussion sur le cannabis avec des ados qui auront vite fait de trouver «hallucinants» les propos de leurs parents.
Retrouvez ici le détail des résultats vaudois pour cette votation