POLITIQUE ET DROGUES EN EUROPE
NOVEMBRE 2016
Un verdict de la Cour Administrative Fédérale allemande a obligé le Ministère de la Santé allemand à autoriser un patient de la ville de Mannheim de cultiver jusqu’à 130 plants de cannabis par an, pour lui garantir l’accès au médicament dont il a besoin. Ce permis spécial n’est valide que tant que ses frais thérapeutiques ne peuvent être pris en compte par l’état allemand.
D’autres patients se battent pour obtenir les mêmes droits, en Allemagne, en Europe, aux États-Unis. Le dossier Salzburg, dans lequel Wilhelm Wallner, du Cannabis Social Club de Salzburg, est accusé de production de cannabis, démontre également un fort activisme autrichien, défendant lui aussi le “freedom to farm” (droit de cultiver), tel que le font Encod et les anti-prohibitionnistes de toute l’Europe.
Même en Italie, des associations et des collectifs de patients se battent pour améliorer leur situation. À Rome, certains d’entre eux ont ouvert un Cannabis Café, pour permettre à tous les patient romains de se rencontrer. Malgré cela, il reste beaucoup de patients isolés, facilement criminalisés, tel que le musicien Fabrizio Pellegrini de la ville de Chieti. Touché par la fibromyalgie, il a cultivé du cannabis pendant plus de 10 ans et s’est fait régulièrement arrêter pour cela. Sa photo, assortie d’articles le décrivant comme un dangereux dealer de drogue, a fait sensation suite aux actions d’une alliance de journalistes, juges et policiers n’ayant rien de mieux à faire.
Sa situation représente également un réel cauchemar thérapeutique, alors que l’Italie fut un des premiers pays à légaliser le cannabis médical, allant jusqu’à le rendre gratuit. Mais pas pour Fabrizio, qui n’est pas autorisé à cultiver son propre médicament, alors qu’il a demandé à obtenir ce droit, tel que la constitution le prévoit. Il reçut son premier refus des autorités locales de la santé en 2011, dont le gérant déclara qu’il ne voulait pas supporter la charge économique du médicament demandé. Sans le sou, Pellegrini se retrouva obligé de cultiver le médicament dont il avait besoin. Il a récemment été condamné.
Le 2 août 2016, après 55 jours de détention provisoire, il fut temporairement assigné à résidence. Le 8 août, il demanda à obtenir son médicament. Le 29 août, un docteur vint lui faire passer un bilan de santé. Le 20 septembre, ce docteur envoya une requête formelle pour “l’importation de drogues narcotiques pharmaceutiques non enregistrées en Italie” . Pour d’incompréhensibles raisons, le docteur s’occupant de la requête ne l’envoya pas directement à la pharmacie locale, mais donna simplement une copie à Fabrizio! Ce dernier, étant assigné à résidence, mandata sa soeur, à qui la demande fut refusée pour “raisons inconnues”.
Le 21 Septembre, l’avocat de Fabrizio, ayant eu vent du refus surréaliste de l’autorité locale de la santé d’accorder un certificat médical à cette importation, résultant en une “entrave” arbitraire à la procédure d’importation, a officiellement déposé une requête de “livraison tracée” en envoyant une copie au Ministère de la Santé italien.
L’autorité locale de la santé doit encore répondre à cette requête. Ce 4 octobre, la région des Abruzzes a annoncé sur son site internet officiel la publication du décret commissoral régulant la distribution et le remboursement du cannabis médical, et la préparation de moyens thérapeutiques utilisant le cannabis. Ce document spécifie que ces types de médicaments peuvent être prescrits (et donc remboursés par le Système de Santé Régional) lorsqu’une réduction de la douleur chronique est constatée chez des patients pour lesquels les traitements conventionnels ne fonctionnent pas, sauf dans le cas de la fibromyalgie.
Fabrizio a donc appris que sa maladie a été expressément exclue de la liste des maladies permettant de bénéficier d’un remboursement du coûteux cannabis thérapeutique dont il a besoin.
Une autre coïncidence? Son avocat parle d’une procédure odieuse, qui viole clairement la loi régionale, dont l’application fut modifiée par une autorité outrepassant ses droits, c’est à dire une autorité n’ayant pas été autorisée à modifier les lois régionales.
Pour comprendre la gravité de cette violation de la loi, l’avocate Di Nanna explique qu’il suffit de souligner le nom du décret; “contra pellegrinum” (de contra personam en latin), un concept qui est contraire à l’intention de la loi régionale.
La loi est suffisamment claire que pour qu’on comprenne aisément en la lisant que le législateur régional voulait établir un principe de liberté médicale, non sujet à limitations. Elle prévoit de déléguer la distribution de ces nouveaux médicaments, ainsi que les coûts qui y sont associés, aux agences locales de santé. Cette loi ne prévoit donc certainement pas de limiter ses dispositions à un nombre restreint de pathologies.
Pour parachever l’absurdité de cette situation, le directeur du Bureau Central des Narcotiques au Ministère de la Santé Italien a déclaré ce 11 octobre que jusqu’à aujourd’hui, aucune demande d’importation de produits issus du cannabis n’est arrivée à l’agence locale de santé de la ville de Chieti.
Une certitude persiste à travers tous ces mystères: tous les traitements médicaux adaptés à l’accusé lui ont été interdits, une violation claire de la Constitution, et de la loi régionale dont l’application fut modifiée arbitrairement par une provision signée par le président de la région. Aucune mention des Nations Unies, qui continue d’affirmer que ses conventions sont nécessaires pour garantir l’accès aux médicaments essentiels et contrôlés.
Le combat continue. Sans cannabis, aucune justice, ni pour Fabrizio Pellegrini, ni pour tous ceux partageant son combat.
par Enrico Fletzer
Nouvelles du secrétariat:
Une discussion en cours: le futur du mouvement anti-prohibitionniste.
Après UNGASS 2016, les ONG opérant sur la réforme des politiques en matière de drogues se sont interrogées sur le futur du mouvement. Particulièrement en Europe, depuis le mythe de la formation de l’Union Européenne, qui s’accompagna de la création du Centre Européen pour la Surveillance des Drogues des Dépendances aux Drogues (EMCDDA) à Lisbonne en 1993. À cette époque, Encod était basé sur les fondations d’une Europe politique et sociale qui, de la cuisine jusqu’aux politiques en matière de drogues, aurait dû être chargée de dépasser les standards barbares alors appliqués aux États-Unis.
Ce rêve est aujourd’hui tombé en morceaux, et c’est à l’Europe politique et à ses mouvements sociaux qu’il incombe de le raviver. C’est également pour cette raison que nous planifions, lors de la prochaine Assemblée Générale d’Encod à Berlin, une séance de brain-storming à laquelle les mouvements sociaux seront invités, pour développer une stratégie européenne qui soit ouverte à la consultation et aux suggestions.
Dans ce domaine, Encod à toujours été un cas à part. Radical sans être fermé ni exclusif. Une coordination ouverte préférant l’autonomie et la prise de responsabilité personnelle, mais également capable de traverser les institutions.
Pour nous la question reste identique: Qui changera le monde? Ceux qui ne l’aiment pas.